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ribot. — théories allemandes sur l’espace tactile

ment, en recourbant ses orteils, comme le fait un enfant beaucoup plus âgé, quand on le chatouille. » Mais on ne peut voir là qu’un fait de localisation bien vague, puisque les mouvements de réaction ne peuvent guère être considérés dans ce cas que comme des actes réflexes. Dans quelque partie peu mobile du corps, comme la poitrine, la localisation se fait-elle immédiatement ? C’est là ce qui prouverait la théorie nativiste ; mais ce fait n'a jamais été établi.

Le vice capital de cette théorie, c’est son extrême simplicité. En réduisant tout à un contact immédiatement localisé, elle ne fait jouer qu’un rôle très-effacé aux sensations musculaires dans l’acquisition des notions tactiles ; souvent même, elle les néglige totalement. En supposant que chaque point de notre corps sent immédiatement sa position dans l’espace, parce que toute sensation est rapportée en vertu d’une loi de notre organisation à l’extrémité périphérique du nerf affecté, elle postule, en réalité, le problème discuté ; car l’ébranlement d’une extrémité nerveuse n’implique par elle-même aucune donnée extensive. Au contraire, la théorie empirique soutient que l’idée de la position d’un certain point du corps (à droite, à gauche, en haut, en bas) ne peut résulter que du jeu de certains muscles, différant suivant chaque cas, et éveillant dans la conscience des sensations musculaires déterminées : en sorte que toutes les directions qui réclament le jeu des mêmes muscles sont, pour le corps, similaires, et que le jeu de muscles différents signifie des directions différentes.

La théorie empirique est donc caractérisée par le rôle prépondérant, presque exclusif, qu’elle attribue aux mouvements et à la sensibilité musculaire[1]. Si elle ne résout pas toutes les difficultés, du

  1. Il n’entre pas dans notre sujet d’exposer cette théorie, qui doit à Bain son plus complet développement. Cependant il n’est pas inutile, pour la clarté de l’exposition, de la résumer à grands traits. — La proposition fondamentale est celle-ci : L’état de conscience qui accompagne certains modes de mouvement musculaire est l’origine de nos perceptions de longueur, hauteur, largeur, forme, position, direction, c’est-à-dire de toutes les déterminations de l’espace. Si nous mouvons librement un de nos membres, nous avons le sentiment d’un mouvement musculaire plus ou moins long ; rien de plus. Si ce mouvement est arrêté à ses deux extrémités par quelque obstacle (comme celui de la main par les deux côtés d’une boîte) il en résulte une première détermination. De même, si nous passons la main ou le doigt sur une surface et que nous disions que deux points A et B sont séparés par un espace, nous voulons dire simplement qu’il y a une série de sensations musculaires interposées entre le moment où nous partons de A et le moment où nous arrivons à B. C’est donc la sensation d’une durée plus ou moins longue d’effort musculaire qui nous donne l’étendue. La notion de longueur en espace est construite à l’aide de la notion de longueur en temps. Ce qui est dit de la longueur peut s’appliquer à la distance, à la direction, à la forme.

    Reste pourtant à expliquer comment cette série de contractions musculaires