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semble, au premier abord, pouvoir s’interpréter en faveur de la théorie empirique ou génétique. En effet, s’il est un point bien établi, c’est que toute sensation est ressentie en réalité dans les centres nerveux et non dans la partie qui a subi un contact. Les sensations tactiles, au début, ne sont pas transportées aux objets extérieurs ni même à la périphérie de notre corps. Elles sont très-probablement ressenties sous la forme vague de sensations internes et comme obstacle au mouvement. Ce n’est que plus tard qu’elles sont localisées au point louché. Les physiologistes désignent ce fait général sous le nom de « loi d’excentricité des sensations », exprimant ainsi que ce qui se passe réellement au centre est projeté aux extrémités. Ce fait paraît d’accord avec la thèse fondamentale de l’empirisme, tel que Helmholtz l’a formulée : « Les sensations sont, pour notre conscience, des signes dont l’interprétation est livrée à notre intelligence. » Il semble bien, en effet, qu’ici la localisation résulte d’une interprétation des données primitives. Cependant la question n’est pas tranchée par là même, car les partisans de l’innéité pourraient soutenir ou bien que la localisation est immédiate et que la répétition ne fait que la préciser, ou bien que l’opération par laquelle toute impression est rapportée aux extrémités n’est pas une interprétation, mais bien un mécanisme préétabli, inné : ce qui est le fond même de leur thèse.

On ne peut nier cependant que, s’il était établi que la localisation tactile ne se fait pas immédiatement, leur argumentation aurait moins de poids que celle de leurs adversaires. Cette localisation a-t-elle lieu ? Une première difficulté pour y répondre, c’est qu’il est difficile de voir la perception tactile seule à l’œuvre. La perception visuelle la devance : quelques heures après la naissance, les yeux de l’enfant suivent déjà les mouvements d’une lumière un peu éloignée. Ce n’est que bien plus tard qu’il est en état de palper. Il y a lieu de croire que les premiers essais de localisation tactile sont singulièrement aidés par la vue : ce qui, pour le cas présent, ne serait guère en faveur de la théorie nativiste ; car si l’enfant localise un contact dans une certaine partie de son corps, parce qu’il y voit quelque chose de particulier (par exemple une main ou un objet qui s’en approche), ce fait ressemble bien à une interprétation.

Quand on écarte cet élément étranger — la vision — pour s’en tenir aux seules perceptions tactiles, on est tout d’abord arrêté par le manque d’observations. Darwin, dans l’intéressante étude qu’il a publiée sous le titre de Biographical Sketch of an infant (Mind, July 1877), nous dit que « le septième jour, lui ayant touché avec un morceau de papier la plante du pied, l’enfant retira le pied vive-