Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
ribot. — théories allemandes sur l’espace tactile

multiplier les contacts ; ils sont par eux-mêmes une source de connaissance, parce qu’ils sont la source d’états psychiques qui constituent une véritable conscience musculaire. Chaque mouvement a sa modalité propre, suivant la nature des muscles mis en jeu, suivant leur état de vigueur ou de fatigue, suivant la direction du mouvement (flexion, extension, rotation, etc.), suivant sa durée, son intensité, suivant le degré d’effort et la résistance. L’expérience nous apprend que toutes ces nuances sont transmises — ou peuvent l’être — à la conscience. Les physiologistes ont beaucoup discuté sur le siège et les conditions de cette sensibilité musculaire. Ces controverses théoriques nous importent peu ; ce qui est certain, c’est que nous avons le sentiment de l’état de nos muscles. Ici encore, la pathologie a permis de comprendre l’importance de cette faculté, en étudiant les cas où elle est abolie. Certains malades n’ont plus conscience de la position de leurs membres, ni même de leur existence, dès qu’ils cessent de les voir ; ils ignorent s’ils sont étendus ou fléchis ; ils les croient privés de pesanteur. Dans d’autres cas plus instructifs, la sensibilité musculaire subsiste seule. « Chez un ouvrier, dit Landry[1], dont les doigts et les mains étaient insensibles à toute impression de contact, de douleur et de température, le sens de l’activité musculaire était partout intact. Si, en lui faisant fermer les yeux, je lui plaçais un objet assez volumineux dans la main, il s’étonnait de ne pouvoir la fermer, mais sans autre idée que celle d’un obstacle au mouvement des doigts. Je lui attachai, à l’aide d’un lacet et sans le prévenir, un poids d’un kilogramme au poignet ; il supposa qu’on lui tirait le bras. » Le seul état de conscience subsistant était donc celui d’un effort, sous forme de résistance et de traction. — Il est plus rare de rencontrer une abolition du sens musculaire, la sensibilité au contact persistant. Cependant Landry (ouvrage cité, p. 195) parle « d’individus chez qui le sentiment du poids, de la résistance, des diverses actions musculaires est perdu, tandis que la sensibilité cutanée est normale. »

Nous venons d’énumérer brièvement les divers éléments qui concourent à former notre connaissance de l’étendue tactile. À l’aide de quelques exemples, choisis entre beaucoup d’autres, nous avons montré le rôle que joue chacun de ces éléments et ce qui s’ensuit lorsqu’il est entravé. Ce procédé analytique avait pour but de faire voir la complexité du problème : reste à étudier la notion d’étendue dans sa genèse elle-même.

Un fait général qui domine toute la physiologie des sensations

  1. Traité des paralysies, p. 199.