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« les fils issus des femmes inférieures abordent leur père en disant : Mon seigneur, le roi », et le mot Naï, qui veut dire chef chez les Siamois, « est devenu chez eux un terme de politesse en usage dans les conversations. » En Chine, les fils, en parlant de leur père, disent « la majesté de la famille », « le prince de la famille » ; et ce pays fournit encore un autre exemple, d’autant plus remarquable qu’il lui est spécial. Dans cette contrée, où la suprématie des anciens instituteurs du peuple est devenue si grande, où les titres tze ou futze, signifiant « grand maître » quand ils sont joints à d’autres noms, ont été plus tard ajoutés aux noms des écrivains distingués, et où les distinctions de classes fondées sur la supériorité intellectuelle caractérisent l’organisation sociale, il est arrivé que ce titre d’honneur signifiant maître est devenu un compliment ordinaire.

Les anciens Romains fournissent d’autres preuves. L’esprit qui conduisit à la diffusion des titres est parfaitement mis en lumière par Mommsen quand il décrit comment les honneurs du triomphe, « originairement réservés à un magistrat qui avait agrandi la puissance de l’État par une victoire sur le champ de bataille, étaient accordés à ceux qui ne les avaient pas mérités : « Pour qu’il n’y eût plus de triomphateur n’ayant jamais combattu… on décida que le triomphe serait seulement accordé à ceux qui prouveraient qu’ils avaient livré une bataille rangée ayant coûté la vie au moins à 5 000 ennemis, mais cette preuve était fréquemment éludée par de faux bulletins… Autrefois, les remercîments de la république avaient suffi pour récompenser une fois pour toutes le service rendu à l’État ; maintenant. chaque acte méritoire semblait réclamer une distinction permanente… La coutume s’établit d’accorder au vainqueur et à ses descendants un surnom perpétuel dérivé des victoires qu’il avait gagnées… L’exemple donné par les classes supérieures fut suivie par les classes inférieures. » Sous cette influence, les titres dominus et rèx furent éventuellement conférés à des personnes ordinaires.

Les exemples de ce processus ne manquent pas non plus parmi les nations européennes modernes. On a souvent remarqué combien les titres de noblesse sont communs sur le continent ; en quelques pays, cela dépasse toutes les limites. Dans le Mecklembourg, dit le capitaine Spencer, « on suppute que la noblesse comprend la moitié de la population… Dans une auberge, le propriétaire était un Herr Graf (comte), la propriétaire une Frau Gräfin (comtesse), le valet d’écurie, le sommelier et le cireur de bottes étaient des Herren Grarfen, tandis que les cuisinières et les chambrières étaient des Fräulein Gräfinnen. On m’apprit que dans un village tous les habitants, sauf quatre, étaient nobles. »