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degrés, aux seigneurs féodaux et aux rois, et encore aujourd’hui on dit sire en s’adressant à un monarque[1].

Peut-être est-ce à cette double signification que le titre « père » doit sa propagation si rapide. Nous trouvons qu’il désigne partout les supérieurs de toute espèce. Chez les Zoulous, le mot baba (père) ne s’applique pas seulement au roi, mais les inférieurs de tout rang s’en servent quand ils parlent à ceux qui sont placés au-dessus d’eux. Livingstone nous raconte également que ses domestiques l’appelaient « notre père », et Burchell était désigné de cette manière par les Bachassins. Cette formule était employée anciennement en Orient ; nous lisons par exemple : « Ses serviteurs approchèrent, parlèrent à Naaman et dirent : Mon père, » et elle l’est encore aujourd’hui dans l’extrême Orient. Un apprenti Japonais appelle son patron « père ». À Siam « les enfants des nobles sont appelés pères et mères par leurs inférieurs », et Huc raconte qu’il vit des ouvriers chinois se prosterner devant un mandarin en s’écriant : « Paix et bonheur à notre père et mère ! » Dans certains cas, père indique en dehors de la supériorité du rang la supériorité de l’âge, cette dernière passant quelquefois avant la première, comme dans le royaume de Siam et jusqu’à un certain point en Chine et au Japon. Une telle extension eut lieu dans l’ancienne Rome, où ''pater était à la fois un titre de magistrat et un titre donné par les plus jeunes à leurs aînés quand même il n’y avait entre eux aucun lien de parenté, et en Russie, à l’époque actuelle, le mot équivalent est employé quand on s’adresse au czar, à un prêtre ou à un homme âgé quelconque. Quelquefois ce titre de père s’applique aux jeunes aussi bien qu’aux vieux. Sous la forme de sire, il désignait des seigneurs féodaux, grands et petits ; sous la forme dérivée sir, il était autrefois d’un usage général dans les discours, et est aujourd’hui employé universellement dans les lettres.

Il faut citer ici un groupe curieux de dérivés qui sont employés chez des peuples civilisés et demi-civilisés. Le désir de faire un compliment en attribuant la dignité impliquée dans la paternité a en beaucoup de pays amené l’usage de remplacer le nom propre d’un

  1. Après de longues discussions sur l’origine de sire et de sieur, on est tombé d’accord que ces deux mots dérivent d’une même racine signifiant originairement plus âgé. Toutefois sire étant une forme contracte employée antérieurement à sieur (forme contracte de seigneur), et ayant pour cette raison une signification plus générale, est devenu synonyme de père. Une preuve de son évolution et de sa diffusion antérieures, c’est qu’il s’applique à différents dignitaires en dehors du seigneur, et sa synonymie avec père est démontrée par le fait que dans le français primitif grand-sire est employé comme l’équivalent de grand-père et par cet autre fait que l’on ne disait pas sire à un célibataire.