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herbert spencer. — études de sociologie

nous reportent toutes les mythologies et les théologies. Il n’y a donc rien d’extraordinaire à ce que les Incas péruviens aient adoré leur père le Soleil, à ce que Ptah, le premier de la dynastie des dieux qui régnèrent en Égypte, soit appelé « le père du père des dieux », et à ce que Zeus soit « le père des dieux et des hommes ».

Après avoir passé en revue ces croyances primitives où l’on fait si peu de distinction entre le divin et l’humain, ou après avoir étudié les croyances qui existent encore dans le Japon et dans la Chine, où les souverains, « fils du ciel », prétendent être descendus de ces pères ou dieux les plus anciens, il est aisé de voir comment le nom de père, dans son sens le plus élevé, vient à être appliqué à un potentat vivant. Comme on appelle pères ses ancêtres les plus éloignés et les plus rapprochés, et qu’on les distingue seulement par les épithètes grands, grands grands, etc., il en résulte que le nom de père, donné à chaque membre de la série, est également donné au dernier de la série encore vivant. À cette cause s’en joint une autre. Là où l’institution de la descendance en ligne mâle a produit la famille patriarcale, le nom de père, même dans sa signification originelle, est associé à l’autorité suprême et devient par conséquent un nom honorifique. À la vérité, chez les nations formées par des groupes patriarcaux simples et composés, les deux causes se confondent. L’ancêtre connu le plus reculé de chaque groupe composé est en même temps le père et le dieu de tous les groupes réunis, et comme non-seulement sa personne, mais encore sa puissance sont représentées par le fils aîné de l’aîné, il en résulte que ce patriarche, qui est non-seulement le chef de son propre groupe, mais encore des groupes réunis, se trouve à leur égard dans la même situation que l’ancêtre déifié ; il réunit donc en lui, dans une certaine mesure, la puissance divine, la puissance paternelle et la puissance royale.

De là l’emploi général de ce mot « père » comme titre royal. Les Indiens de l’Amérique et les habitants de la Nouvelle-Zélande s’en servent les uns et les autres quand ils s’adressent aux potentats des nations civilisées. Nous le rencontrons aussi en Afrique. Le nom de père est à la tête de la liste des différentes qualifications du roi des Zoulous ; à Dahomey, quand le roi allait du trône au palais, « chaque inégalité du sol était indiquée par des claquements de doigt, de peur qu’elle ne blessât l’orteil royal, et on criait continuellement : Dadda l Dadda ! [Grand-père ! Grand-père !), et : Dedde ! dedde ! (Doucement ! doucement !). » En Asie, nous trouvons des cas où les titres « Seigneur Rajah et Seigneur père » sont réunis. En Europe, de nos jours, le Czar est appelé Père ; dans les temps anciens, ce nom était communément appliqué sous la forme de sire aux potentats de différents