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remarque que « un mélange bâtard des éléments théocratiques et patriarcaux forme la base de tout le gouvernement en Chine et au Japon, où les empereurs non-seulement s’intitulent les patriarches et les pères de leur peuple, mais prétendent encore à une origine divine, » il augmente le nombre des fausses interprétations résultant de ce qu’on prend comme point de départ des conceptions élevées au lieu des conceptions bornées de l’homme primitif. Car ce qu’il appelle « un mélange bâtard » d’idées est en réalité une union normale d’idées qui, dans le cas indiqué, a duré plus longtemps que cela n’arrive d’ordinaire dans les sociétés développées.

Les Zoulous nous montrent clairement cette union. Ils ont des traditions concernant Unkulunkulu (littéralement le vieux vieux), « qui fut le premier homme, qui naquit et engendra des hommes, qui donna naissance aux hommes et à toutes les autres choses (y compris le soleil, la lune et les cieux) et qui est supposé avoir été un nègre, parce que tous ses descendants sont des nègres. » L’Unkulunkulu primitif n’est pas adoré, parce qu’on le croit définitivement mort, mais tous les Unkulunkulus des différentes tribus formées par ses descendants sont adorés et appelés pères. Ici donc, il existe un lien direct entre les idées de créateur et de père. Ce rapport est exprimé d’une façon également caractéristique ou même plus caractéristique dans les réponses suivantes des anciens habitants de Nicaragua. À la question : « Qui a créé le ciel et la terre ? » ils répondirent d’abord : « Tamagastad et Cipattoval, nos grands dieux que nous appelons teotes, » et, comme on les pressa de s’expliquer mieux, ils ajoutèrent : « Ces teotes sont nos pères, tous les hommes et toutes les femmes en descendent, ils sont faits de chair et sont homme et femme ; ils marchaient sur la terre couverts de vêtements et mangeaient ce que les Indiens mangeaient. » L’identification étant ainsi établie entre les dieux et les premiers parents, la paternité et la divinité deviennent des idées connexes. L’ancêtre le plus reculé, que l’on suppose exister encore dans l’autre monde où il est allé, le créateur de ses descendants, le « vieux vieux » ou « l’ancien des jours », devient la divinité principale. De cette façon, « père » n’est pas, comme nous le croyons, un équivalent métaphorique de « dieu », mais un équivalent littéral.

C’est pourquoi nous voyons ces deux noms employés chez tous les peuples comme deux synonymes. Dans la prière précédemment citée que le Néo-Calédonien adresse à l’esprit de son ancêtre : « Père miséricordieux, voici de la nourriture pour vous, mangez-la ; soyez bon pour nous à cause de cette offrande, » nous avons la preuve de cette identification originelle de la paternité et de la divinité à laquelle