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compayré. — la psychologie de lamarck

On sait quel est l’objet des deux premières parties de cet ouvrage[1] : à l’ancienne doctrine d’une création unique, produisant d’emblée les espèces dans leur forme immuable, substituer l’idée d’une évolution progressive, d’une nature qui procédant du simple au composé s’élève des animalcules les plus informes aux animaux les plus parfaits. Avec Lamarck, pour la première fois, le transformisme, qui n’avait guère été jusque-là, avec de Maillet par exemple, qu’une fable ingénieuse, une fantaisie sans portée, essayait de devenir un système et d’acquérir quelque rigueur, quelque cohésion. Lamarck ne se contente pas en effet d’affirmer que l’évolution est le secret de la nature : il se flatte d’expliquer comment cette évolution s’est accomplie et de trouver dans un petit nombre de lois la clef des mystérieuses opérations qui transforment les êtres et multiplient les espèces. Son argumentation se réduit à établir l’influence du milieu sur les besoins de l’animal, et l’action du besoin sur les organes. Les circonstances extérieures développent des besoins nouveaux, et ces besoins à leur tour déterminent soit l’extension d’un organe déjà existant, soit même, ce qui est autrement difficile à croire, la production d’un organe qui n’existait pas. Un exemple suffit entre mille pour résumer la pensée de Lamarck : c’est celui de la girafe dont le cou s’est allongé de plusieurs mètres, parce qu’elle vivait dans des pays arides où le sol est sans herbes, où il lui fallait par conséquent chercher sa pâture à une certaine hauteur sur les branches des arbres. Quelque invraisemblable que soit cette féerique évocation d’un organe surgissant de toutes pièces à l’appel d’un besoin, ou prenant tout au moins des proportions inattendues, Lamarck se contentait de ce principe, en y joignant celui de l’hérédité qui fixe dans les races, en les accroissant par accumulations graduelles, les modifications des individus ; en invoquant surtout, pour donner plus de crédit à cette genèse un peu fabuleuse, les circonstances particulièrement favorables de mobilité dans les milieux, d’élasticité dans les organismes, surtout de durée dans le temps ; enfin, comme le dit Auguste Comte, « en posant de la nature avec cette prodigalité illimitée qui ne coûtait aucun effort à sa naïve imagination[2]. » Ce n’est pas le lieu de discuter ces subtiles théories : remarquons seulement, sans vouloir diminuer l’originalité de Lamarck, que Diderot, avec cette merveilleuse facilité de conception d’où sont sorties tant d’esquisses dont il ne restait qu’à faire des théories, avait déjà entrevu l’action que peut exercer sur l’orga-

  1. Les Considérations sur les êtres vivants, publiées dès 1802, contiennent déjà la première esquisse de la théorie de la descendance.
  2. Cours de Philosophie positive, tome iii, p. 391.