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herbert spencer. — études de sociologie

nuent de déifier leurs chefs, nous trouvons que les dieux portent des noms semblables à ceux que des guerriers reçoivent pendant leur vie. « Voleur de femmes », « mangeur de cervelle », « meurtrier, » « auteur d’un récent carnage, » sont naturellement de ces titres divins dont l’origine remonte aux noms descriptifs en usage chez les cannibales qui vouent un culte à leurs ancêtres. La preuve que différents titres des dieux adorés par des races supérieures ont une origine semblable ressort du fait qu’on leur attribue des conquêtes. Qu’il s’agisse de divinités égyptiennes, babyloniennes ou grecques, on les représente comme ayant acquis leur pouvoir par les combats. Dans les récits, leurs exploits guerriers se trouvent quelquefois différents noms descriptifs, tels que celui de Mars « le sanguinaire, » et celui du dieu des Hébreux « le Violent » ; d’après Keunen ce dernier nom est la traduction littérale de Schaddaï.

Il arrive très-souvent chez les peuplades primitives qu’au lieu du titre d’honneur littéralement descriptif on donne le titre d’honneur métaphoriquement descriptif. À propos des Tupis, qui ont été cités plus haut comme exemple d’une nation qui prend des noms de guerre, nous lisons « qu’ils tiraient leurs appellations d’objets visibles, leur choix étant guidé par l’orgueil ou la férocité » Ce que Ximenez nous dit des peuples plus civilisés de Guatemala nous montre comment de pareils noms, donnés d’abord par des compagnons dans un mouvement spontané d’admiration et conférés ensuite d’une manière plus délibérée, sont acquis par des hommes d’une grande vaillance et deviennent des noms de potentats. Voici, d’après cet auteur, l’énumération des noms de leur roi : « tigre riant », « tigre des bois », « aigle oppresseur », « tête d’aigle », « serpent fort », etc. Dans toute l’Afrique sauvage, les titres royaux ont une genèse analogue. Au nombre des titres d’honneur du roi d’Ashantee se trouvent « lion » et « serpent ». Au Dahomey, les titres ayant cette origine sont mis au superlatif ; le roi est « le bon des lions ». C’est dans le même esprit que le roi d’Usambara est appelé ; « lion du ciel » ; si l’apothéose était accordée à ce roi, ce titre donnerait naturellement naissance à toutes sortes de mythes. Le pays de Zoulou nous fournit des témoignages concernant le même fait ; il nous montre en même temps comment des titres d’honneur dérivés d’objets imposants, animés ou inanimés, sont ajoutés à des noms honorifiques d’une origine différente et se transforment en ces formules de discours dont nous avons parlé récemment. Les titres du roi sont : « le noble éléphant », « toi qui es éternel », « toi qui es aussi élevé, que les cieux », « toi qui engendres les hommes », « le noir, » « toi qui es l’oiseau qui mange d’autres oiseaux », « toi qui es aussi haut que les montagnes », « toi qui es le