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aux divers degrés de l’échelle animale, enfin de la distinction qu’il convient de faire entre la quantité et la qualité, la composition chimique de la matière nerveuse. — Considérons enfin la psychologie de révolution, celle qui s’inquiète des origines, du développement insensible des facultés humaines, qui les envisage, non comme des forces immobiles et une fois données, mais comme des éléments perfectibles, lentement transformés par le travail des siècles : nous en trouvons le germe et les premiers linéaments dans les recherches d’un homme qui appartient à la fois au xviiie et au xixe siècle, l’auteur de la Philosophie zoologique, Lamarck. Précurseur de Darwin par sa théorie sur l’origine et la descendance des espèces, Lamarck a encore devancé la psychologie contemporaine dans les essais qu’elle tente pour appliquer aux manifestations progressives de la sensibilité et de l’intelligence les lois qui régiraient déjà l’apparition successive des êtres vivants.

Il est inutile de faire valoir ici les titres de gloire que s’est acquis dans la science positive, par son Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, celui qu’on a appelé le Linné français. Il avait longtemps cherché sa voie, lorsque, en 1794, la Convention, qui organisait les sciences comme elle organisait les armées, et quelquefois avec le même succès, en les improvisant, le chargea d’étudier, dans une chaire du Muséum, les animaux inférieurs, les mollusques, les zoophytes, les insectes, « l’inconnu, » s’écrie M. Michelet. À côté de lui, Étienne Geoffroy St-Hilaire, à peine âgé de 21 ans, et qui n’avait encore fait que de la minéralogie, était appelé à enseigner la zoologie des animaux supérieurs. Observateur patient et qui perdit la vue à considérer de trop près les infiniment petits de la création, Lamarck joignait à ses aptitudes scientifiques une remarquable vocation pour la philosophie, pour les synthèses et les conceptions d’ensemble. Esprit spéculatif et systématique, il critique vivement les zoologistes « qui se sont trop occupés d’objets de détail » ; il raisonne encore plus qu’il n’observe, et ses théories sont moins de sages inductions que des constructions hypothétiques. A mesure qu’il saisissait dans la multitude des êtres vivants un ordre parfait de progression, et qu’il répartissait les animaux invertébrés dans des catégories qui sont restées classiques, il voyait se dégager de ces études de classification un ensemble d’idées nouvelles sur l’organisation de la nature : loin de repousser ces imaginations hardies, il s’y complaisait, et en 1809 il les exposait avec ampleur dans sa Philosophie zoologique[1].

  1. Voir la nouvelle édition de la Philosophie zoologique, donnée par M. Ch. Martins, professeur à la Faculté des sciences de Montpellier Paris Savy, 1873. 2 volumes in-8, lxxxiv-412 p. et 431 p.