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la suite, — on ne trouvera guère, en cherchant, plus de modifications possibles. Puis, comme dans les perceptions toujours plusieurs nerfs sont ébranlés en même temps, l’harmonie ou la désharmonie des ébranlements nerveux les uns avec les autres peut encore se transformer en sentiment interne. Non-seulement un plus grand nombre de sentiments spécifiquement distincts ne saurait en pareil cas avoir lieu, mais on peut même se demander si de semblables différences de sentiment, quand elles ont lieu, peuvent produire autre chose que des explosions de sentiment, des interjections (p. 314-315). » Ainsi le sentiment reste l’élément formel des représentations mentales, mais l’élément constitutif de la perception ne passe point dans le sentiment, ni dans l’action réflexe qui en est la suite. Il reste donc inconcevable que pour tant de perceptions déterminées il puisse se produire un nombre égal de sons réflexes correspondant chaque fois au contenu de la perception.

Mais, dira-t-on, il y a aussi les sentiments de mouvement et, pour ainsi dire, l’épanouissement réflexe de la représentation interne. Les sons réflexes peuvent être, outre l’imitation de bruits naturels, les produits d’un sentiment de mouvement dans les organes vocaux, lequel sentiment est analogue à celui qui se manifeste dans les autres membres, chaque fois qu’un mouvement est perçu ou imaginé. Regardez ou représentez-vous, par exemple, un corps roulant sur un plan uni, ou tombant d’une hauteur à travers l’atmosphère, une boule ou un corps hérissé d’angles inégaux qui roulent : en combien de sens différents vos yeux ne sont-ils pas tirés ! Sans doute, mais il ne s’ensuit pas nécessairement qu’un nombre de sentiments et de réflexes exactement égal doive se produire. En admettant même cette hypothèse excessive, on n’aurait, dans la plupart des cas, qu’un lou lou lou modifié de diverses façons, provoqué successivement par le roulement d’un tonneau, le tournoiement des roues d’un moulin, le grondement d’une table qui roule sur ses pieds, le glissement d’un joujou ou d’objets ronds, le ronflement de roues en branle. Quelle racine pourrait sortir de là ? quel élément déterminé du langage ? Donc les sensations de mouvement, pas plus que les autres émotions internes, ne comportent point de grandes différences, et par conséquent ne peuvent avoir d’objectivité : comment veut-on que des sentiments aussi peu définis réagissent sur l’appareil vocal pour y provoquer des commotions synergiques, chacune des nature spéciale ?

En conséquence, si des sentiments internes quelconques ni des associations d’intuitions élémentaires ne peuvent engendrer — directement — les racines du langage, on doit reconnaître que le langage articulé naît d’après la conformation spéciale de l’organisme humain au moyen d’un processus psychologique varié. Darwin a raison d’affirmer, écrit M. Steinthal, qu’avant d’arriver à une racine phonétique déterminée le travail d’adaptation psychologique est bien plus compliqué que je ne le supposais. « J’attribuais au physique, aux mouvements réflexes, plus