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d’être cela par essence, elle ne l’est que par accident. Et de même qu’elle n’appartient pas originairement et proprement, ou du moins pas d’une manière exclusive, aux perceptions de l’ouïe, elle n’a point à l’égard des perceptions visuelles et tactiles un caractère métaphorique. » Avec quoi donc le son onomatopéique a-t-il de la ressemblance ? Ce n’est pas avec la qualité de la sensation ; le sonne peut ressembler en rien à une sensation (ou impression) visuelle ou tactile : il est en effet une sensation de l’ouïe, et les sensations des divers sens, étant hétérogènes, ne sont point comparables entre elles. Donc cette ressemblance consiste uniquement dans les sentiments que provoque d’un côté la perception du son, d’un autre côté l’intuition mentale qui fait jaillir ce son. Les sentiments excités par le son onomatopéique ont rapport en partie à l’action de ce son lui-même sur le sens de l’ouïe, en partie aux sensations de mouvement déterminées dans les organes vocaux par l’émission du son. Les sentiments attachés à l’intuition mentale regardent en partie l’activité propre de chaque organe sensoriel pris à part, en partie aussi l’agencement, la combinaison de ces différentes opérations sensorielles d’où résulte l’intuition mentale, et pour une autre part encore le mode de liaison de cette intuition avec nos goûts, nos désirs, nos sympathies et nos antipathies, nos craintes et nos espérances. Donc la ressemblance onomatopéique, au lieu d’être immédiate entre le son comme perception de l’ouïe et l’objet ou l’intuition mentale, n’existe qu’entre ces deux groupes de sentiments. Le son onomatopéique est en réalité produit par le sentiment qui accompagne la perception de l’objet, attendu que ce sentiment réagit sur les organes vocaux. Maintenant, quand ce son réflexe est de nouveau perçu comme fait extérieur, il est impossible que la perception de celui-ci ne réveille pas le même sentiment d’où il est lui-même résulté. Voilà pourquoi on le dit semblable à son objet.

Cette théorie ingénieuse et forte des sons onomatopéiques dégageait déjà, suivant la remarque de l’auteur, les trois éléments nécessaires du langage : son, objet, moule phonétique interne. La perception ou intuition d’un événement pris dans sa totalité, voilà l’objet ou la signification ; le moule intérieur d’expression, c’est ici le sentiment que le son éveille en conformité avec la perception. Mais, ce qui est capital, on n’a pas encore avec tout cela le mot das Wort, et la représentation mentale qui en est la condition. L’onomatopée n’est donc qu’un degré préliminaire du langage, n’étant essentiellement à titre de mouvement réflexe qu’un mouvement du corps lié à d’autres mouvements. Ce n’est encore, dirait Max Müller, qu’un mode de langage émotionnel[1]. « Le mot, et par conséquent » le véritable langage humain,

  1. Aussi M. Steinthal propose-t-il plus loin de remplacer le terme d’onomatopée par celui de « pathognomonie, » qui exprime exactement le rapport étroit des sons articulés avec les états affectifs de l’âme d’où ils émanent, et qui accompagnent la perception.