Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
revue philosophique

D’accord en cela avec la seconde théorie de Steinthal, exposée plus loin, Jäger part de ce principe que le langage est une fonction physiologique du corps, dont l’esprit humain use pour accomplir de son côté ses fonctions propres. On doit donc distinguer le côté physiologique (son) et le côté psychologique (état interne) du langage. Le son est d’abord un mouvement involontaire, exemple le bourdonnement et le cri de l’insecte. Puis l’animal ne produit plus ce bruit en conséquence de certains autres mouvements, mais le fait retentir pour lui-même en témoignage de son propre mouvement : exemple, le chant de la cigale, le cri strident du grillon, provoqués par la sensation de plaisir. Voilà déjà un langage. Et, comme le plaisir de l’accouplement est le plus grand dont l’animal soit capable, l’animal emploie le cri sensationnel comme cri d’appel, malgré le danger qu’il y a à révéler sa retraite. Chose remarquable, le développement des organes vocaux coïncide avec celui des organes sexuels. Ces sons-sensations, quand ils sont employés à titre de cri d’appel amoureux ou d’avertissement, acquièrent une signification démonstrative, Mais l’observation nous découvre un bien autre progrès dans la faculté d’imitation phonétique départie à un certain nombre d’animaux, tels que les perroquets. « Le langage phonique des animaux se compose d’interjections et d’onomatopées : les premières sont les plus fréquentes, et parmi elles, au premier rang, se place le cri d’appel amoureux. Quant à l’onomatopée, un petit nombre d’oiseaux seulement, doués au point de vue physique et psychique, y atteignent. »

Ici se présente une difficulté. Admettons que l’homme descend par voie d’évolution du règne animal ; comment se fait-il que ces animaux qui, au point de vue anatomique et psychologique, sont les plus voisins de l’homme, qui par conséquent sont ses prédécesseurs immédiats dans l’échelle généalogique, à savoir les singes anthropoïdes, ne possèdent aucune sorte de langage phonique ? qu’ils aient simplement un langage mimique très-développé, avec quelques sons sensationnels attachés aux émotions violentes ? Jäger rapproche ce fait de cet autre : les corneilles et les corbeaux, si semblables physiquement et intellectuellement, bien plus que l’homme et le singe, sont pourtant au point de vue du langage très-différents. Le corbeau (lang|de|der Kolkrabe}}) est un onomatopéiste passable, et la corneille (lang|de|die Rahenkrähe}}) n’a ce talent à aucun degré. De même, parmi les perroquets, quelques espèces seulement sont susceptibles d’éducation.

C’est que deux conditions sont requises pour l’emploi régulier du langage phonique et de l’onomatopée : le besoin pratique et un certain talent musical. Le « besoin de langage phonique » ne se manifeste que chez les animaux vivant en société : aux autres qui ne se réunissent qu’en passant, pour les besoins de la reproduction, suffit le cri d’appel amoureux. Mais avec la vie familiale s’ajoute à ce cri le cri d’appel maternel chez tous les animaux qui ont à soigner leurs jeunes un certain temps après la naissance. Finalement apparaît une série d’autres cris plus étendus à l’usage des membres du même groupe.