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ANALYSESgrant allen. — Physiological Aesthetics.

le noter au début d’une esthétique physiologique : comme le rhythme, la symétrie nous est tout d’abord enseignée par notre sensibilité musculaire : les sens supérieurs ne font que préciser ces notions, ils ne nous les révèlent pas. C’est d’elles qu’il conviendrait de dire qu’elles sont innées.

La langue est l’organe du goût. Elle se divise en trois parties ou régions. L’extrémité est destinée à discerner les substances acres et mordantes capables de désorganiser les tissus. Elle partage cette sorte de sensibilité avec le reste du corps, car la moutarde par exemple agit sur les autres parties de la peau comme sur la muqueuse buccale : mais elle le manifeste à un plus haut point. Comme pour les autres parties de la peau la stimulation légère est agréable, et c’est quand l’intégrité du tissu est menacée, que l’excitant cause une impression pénible. Une même substance, en effet, est agréable ou pénible suivant la quantité qu’on emploie (poivre, moutarde) et suivant le pouvoir de résistance des tissus (répulsion des enfants pour les condiments énergiques). La région moyenne de la langue est le siège des sensations propres du goût, les premières se rapprochant des sensations tactiles. L’amer et le doux semblent à M. Grant Allen les sensations dominantes de cet organe ; n’y en a-t-il pas d’autres et en grand nombre ? Le goût de la venaison, par exemple, est-il explicable par la douceur et par l’amertume ? Quoi qu’il en soit, l’auteur a heureusement rapproché de l’impression désagréable causée par les substances amères, les effets fâcheux ou funestes que la plupart de ces substances exercent sur l’estomac ; beaucoup sont des poisons énergiques : strychnine, quinine, coloquinte, acide prussique des amandes amères. Au contraire, tous les végétaux comestibles contiennent du sucre. N’y a-t-il pas là l’effet d’une adaptation de l’organisme aux conditions avantageuses ou nuisibles de son milieu, remontant à des temps où l’homme ou son ancêtre se nourrissaient surtout d’aliments végétaux ? Les sensations de la base de la langue sont liées aux fonctions de l’estomac. Elles changent avec l’état de cet organe, agréables lorsqu’il est vide, répulsives en cas de réplétion. Tel corps est-il digestible ou ne l’est-il pas ? voilà la question que cette portion du sens résout incessamment ; voilà la raison secrète de ses appétitions ou de ses antipathies. Quand on parvient en effet à surmonter ces antipathies, l’estomac se venge souvent par la nausée, qui est son dernier recours.

L’odorat s’exerce par la muqueuse nasale, qui n’est sensible aux actions chimiques que si les corps se présentent à elle par le véhicule de l’air respirable. Les sensations d’une première région de la muqueuse (orifice du nez) se relient encore par une gradation insensible aux sensations tactiles ; cette région est excitée par les émanations des corps qui excitent chimiquement tous les autres tissus ; tels sont l’ammoniac, le poivre, la moutarde, l’acide acétique, l’alcool, etc. En petite quantité ces émanations stimulent agréablement l’organe, mais seulement chez les adultes ; inhalées en plus grande masse, elles exercent une action destructive et par suite insupportable, que l’éternuement et l’écoulé-