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tour ; mais nous devons à nos lecteurs d’exposer, non la nôtre, mais celle de M. Grant Allen. Nous arrivons à la partie la plus neuve et la plus solide de l’ouvrage, celle où sont analysées les conditions physiologiques des émotions esthétiques.

L’action des corps extérieurs sur notre propre corps s’exerce par les sens de quatre manières différentes. Il y a d’abord l’action mécanique produite par les mouvements, pressions, chocs, caresses, etc. Puis viennent les impressions caloriques. On remarque, en troisième lieu, les actions chimiques pour lesquelles nous possédons les organes sensoriels spéciaux du goût et de l’odorat. Enfin les ondulations de l’air et de l’éther produisent des effets déterminés sur les organes de l’ouïe et de la vue. L’auteur débute par l’étude du goût. Est-ce donc que les actions mécaniques n’intéressent en rien la science du beau ? Il me semble qu’il eût été au contraire indispensable de rechercher dans la sensation musculaire l’origine de certaines notions qui doivent jouer un rôle important dans toute l’activité esthétique ultérieure. Je veux parler du rhythme et de la symétrie. Si on observe les enfants, on voit que certains de leurs mouvements tendent à se reproduire à des intervalles courts et réguliers : quand par exemple l’enfant agite les deux bras en signe de joie, il les lève et les abaisse alternativement plusieurs fois de suite, ou, quand il remue les jambes, il les lance successivement l’une après l’autre en marquant des temps. Le cri est fait de reprises fréquentes, avant que l’oreille soit intervenue pour le guider. Rien de moins surprenant, si l’on songe que tout mouvement est limité dans son extension et par la grandeur de l’organe et par la force disponible à chaque moment, que cette force se renouvelant incessamment doit provoquer une nouvelle tentative peu de temps après la première, que l’habitude enfin ne peut manquer d’établir pour chaque organe des intervalles fixes de plus en plus réguliers au bout desquels la force accumulée aboutit à une décharge. Voilà pour le rhythme ; quant à la symétrie, avant de nous être révélée par le spectacle des objets que la nature nous offre, n’est-elle pas pressentie par nous en raison de notre propre structure dont les deux parties se correspondent si exactement ? Nos pieds se posent dans la marche en points symétriques par rapport à la ligne de direction, tandis que nos bras oscillent le long du corps symétriquement par rapport à son axe. Nos jambes et nos mains s’opposent. La tête va plus facilement plusieurs fois de gauche à droite et de droite à gauche, puis d’en avant en arrière et d’en arrière en avant, qu’elle ne se meut de gauche à droite par exemple une fois et ensuite immédiatement d’en arrière en avant ; les muscles d’une côte profitent en effet de l’élasticité de ceux du côté opposé et suivent le mouvement de rétraction que leur tension provoque. Les deux points extrêmes atteints par l’oscillation d’une lame de métal, ou de la queue du poisson sont symétriques pour la même cause. Quand même nous ne serions pas faits de deux parties semblables et opposées, nous serions donc amenés inévitablement à aimer la symétrie. Mais il est évident que notre plan organique nous y prédestine. Il était, ce me semble, assez intéressant de