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ANALYSES ET COMPTES-RENDUS




Grant Allen. — Physiologigal Aesthetics. Esthétique physiologique, 1 vol. in-8, 283 p. Henry S. King et Cie, Londres 1877.

Dans son remarquable essai sur l’Origine et la fonction de la musique[1], Spencer avait expliqué les ressources essentielles de cet art par les conditions physiologiques de la voix, offrant ainsi une base expérimentale aux théories les plus raffinées que puissent suggérer les œuvres musicales les plus savantes et les plus complexes. Disciple avoué de Spencer, M. Grant Allen reprend cette idée avec le but de l’étendre à tous les arts. « Pourquoi, avait dit le célèbre esthéticien anglais Ruskin, certaines formes et certaines couleurs nous plaisent-elles, et certaines autres, non ? C’est une question qu’il n’y a pas plus lieu de poser, ni plus de chance de résoudre que celle-ci : Pourquoi aimons-nous le sucre et n’aimons-nous pas l’absinthe ? » M. Grant Allen se fait fort de répondre à ces questions et aux questions analogues. L’entreprise est hardie, comme on le voit ; car si le problème est bien fait pour tenter la curiosité, si la solution est urgente, et nécessaire aux progrès de l’esthétique comme science, il est de ceux qui ont lassé les efforts des plus infatigables chercheurs : Darwin lui-même déclare que nous ne savons pas plus pourquoi certaines couleurs et certains sons sont appelés beaux, que nous ne savons pourquoi certaines sensations corporelles sont agréables, et certaines autres désagréables.

Sans prétendre que l’auteur n’ait rien laissé à faire à ceux qui le suivront dans cette voie nouvelle, nous devons reconnaître qu’il a tenu ses engagements et rempli son programme. Cet élément sensible de la beauté dans la nature et dans l’art, qui semblait jusqu’ici absolument irréductible, l’ouvrage que nous examinons l’analyse et le décompose en des éléments plus simples. Si le problème n’est pas résolu dans tous ses détails, du moins un principe est trouvé qui peut servir, dans un temps plus ou moins éloigné, à les expliquer tous.

Voici ce principe. Les plaisirs et les peines d’ordre esthétique sont avant tout des plaisirs et des peines, c’est-à-dire ont pour cause soit l’exercice normal d’un organe, soit une action qui l’altère et tend à le détruire. Le livre débute en conséquence par un exposé très-clair et d’une grande sûreté de lignes, de la théorie qui a prévalu dans l’école expérimentale anglaise sur la nature du plaisir et de la douleur en gé-

  1. Cet essai a paru pour la première fois dans le [[lang|en|Fraser’s Magazine}}, en octobre 1857. Voir les Essais de Spencer traduits par M. Burdeau, Bibliothèque de philosophie contemporaine ; Germer Baillière, 1877.