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représentée en Allemagne par des esprits tels que Helmholtz, et (ne lui en déplaise !) lui-même, quelques autres encore ; si elle reste docile à cette inspiration de Kant, dont elle a le droit d’être fière, le péril est pour longtemps encore conjuré. La Critique de Kant demeure la digue de résistance et contre l’invasion d’un réalisme trop matériel, et contre la « mine » sourde des systèmes.

IV. — Le néo-Kantisme, au reste, n’est pas confiné en Allemagne. Il répond à un état général de la pensée européenne. De quelque nom qu’elle s’appelle, cette même tendance apparaît, en Angleterre, chez des savants, tels que Tyndall, Huxley, Clifford[1], des philosophes et des critiques, tels que Lewes, Leslie Stephen[2], et souvent Herbert Spencer lui-même ; en Italie, chez des logiciens tels qu’Ausonio Franchi ; en Espagne, chez cette jeune école, qui a son organe à Madrid dans la Revista Contemporanea, où écrivent don José del Perojo, Manuel de la Revilla, P. Estasen, don Juan Valera. En France, plus d’un penseur isolé y obéit : M. Renouvier, M. Berthelot[3], parfois M. Renan, parfois même M. Taine[4] s’en inspirent ; son influence est visible sur cette Revue même qui, tout en étant ouverte, a une préférence évidente pour l’esprit de circonspection, d’exactitude, de méthode, de scepticisme nécessaire, d’où est sortie jadis l’œuvre de la Critique. — En dépit des exceptions apparentes, il y a, dans le monde, une défiance, une lassitude universelle à l’égard de la spéculation pure. L’intelligence humaine s’est résignée à ignorer ce qu’elle ignore, afin de mieux savoir ce qu’elle sait. Est-ce à dire que ce qui est interdit au savoir ne puisse rester accessible aux croyances, au pouvoir d’idéal et de foi qui est en nous ? Une science, inspirée de Kant, serait la dernière à le prétendre. Elle laisse ouverte la porte des songes, quoiqu’elle-même se refuse au rêve. Elle ne dit pas, comme le poète espagnol, « la vie est un songe », mais à côté de la vie, elle reconnaît le songe et lui laisse sa part. C’est au songe, à son tour, à ne pas vouloir tout envahir. Sa part est assez belle : d’aucuns disent la plus belle.

A. Gérard.


    nisme. Du Bois-Reymond y expose ses projets de réforme de l’enseignement secondaire en Prusse. Mais cette partie est tout à fait indépendante du reste du discours

  1. Clifford. Forthinghtly Rewiev. — Ethics of Belief.
  2. Leslie Stephen. Forthnightly Review. Confession of an agnologist.
  3. Berthelot. La science positive et la science idéale. (Revue des Deux-Mondes.)
  4. Taine. L’Intelligence (dernière partie du second volume.)