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gérard. — les tendances critiques en allemagne

du moyen-âge, verse de même au cœur de l’homme le désir du savoir, l’impatience de pénétrer le secret de la nature. »

Enfin, après un long travail, une longue attente, après plus de deux cents ans de recherches et de découvertes, voici le siècle de la science et la méthode, le siècle que du Bois-Reymond désigne sous le nom de « technique-inductif[1]. » L’induction, qui n’est que la démarche naturelle de l’esprit humain en face de la réalité, l’a emporté sur la spéculation, la technique sur l’art. Le génie antique est vaincu, a les anciens ont perdu la partie[2]. » — « Quelle joie élevée et consolante de suivre l’humanité, dans cette nouvelle période de sa vie ! Et qui pourrait nier que jamais plus beau, plus admirable spectacle, chaque jour plus riche, ne s’est déroulé sous les yeux ?[3] » Certes, devant de tels horizons, l’histoire se transforme : tout ce qui jadis s’appelait de ce nom pâlit auprès de la seule histoire, l’histoire de la science. La connaissance de la nature replace l’homme et la planète à leur rang dans l’univers : tel Archimède cherchait un levier pour soulever le monde, telle la science recule pour les mieux connaître, la terre et l’homme, dans une perspective d’Archimède, où tout apparaît dans la juste et relative proportion. Et dans l’histoire de même, tout reprend son rang : Isaac Newton, Alexandre Volta, George Stephenson, deviennent les personnages, les héros de leur temps. Les annales de la science deviennent le seul trésor du passé. La victoire de l’esprit et de la méthode scientifique marque dans le développement de l’humanité une ère aussi importante qu’il y a dix-huit siècles la victoire du christianisme. « Peut-être les peuples ne seront-ils jamais mûrs pour cette civilisation supérieure : aussi bien, ont-ils seulement réalisé l’idéal chrétien ? »

L’histoire de la science, du moins, n’est pas soumise à ces corsi e ricorsi dont parlait Vico : elle a un cours ininterrompu, régulier et rapide. Cinquante années seulement séparent les « Discours » de Galilée de l’apparition des « Principes » de Newton et de la formule donnée par Leibniz à la loi de la conservation de la force[4]. Par Voltaire, par Diderot, par l’Encyclopédie[5], par Kant, la science assure de plus en plus son empire. Aujourd’hui, les rêves les plus hardis des songeurs d’autrefois sont dépassés. La belle et profonde devise de Hobbes : Savoir, c’est pouvoir, commande toute l’admirable énergie du siècle. Partout domine l’esprit de l’homme. Et, cette

  1. Das technisch-inductive Zeitalter. (p. 229-236).
  2. Cette expression, qui résume bien la pensée de du Bois-Reymond, je l’emprunte à Ste-Beuve (article sur Homère).
  3. Discours, p. 230.
  4. Discours, p. 233.
  5. Discours, p. 234.