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gérard. — les tendances critiques en allemagne

Cette méthode, que Helmholtz montre si salutaire, si sûre, si féconde dans l’histoire récente de la médecine, il l’a appliquée, chacun sait avec quel succès, dans ses recherches sur l’optique et l’acoustique, il s’en est inspiré dans cet admirable cours de Heidelberg, dont le souvenir est encore si vivant en Allemagne, et où il traçait en une esquisse puissante les grands résultats des sciences physiques et naturelles. Elle est à chaque page de ces « Essais » qui, sous le nom de « Rapports scientifiques populaires », peuvent être considérés comme les plus précieux, les plus fidèles Comptes-rendus d’un des maîtres de la haute science européenne. Et il sait que l’origine en remonte à la Critique de Kant : il a conscience que de cette philosophie exacte et sévère est sortie, depuis la fin du dernier siècle, la meilleure œuvre du savoir humain. Il aime à relever de ce nom de Kant. Il y trouve un sûr garant contre les tentations, d’où qu’elles viennent, de dépasser les limites de l’esprit, de méconnaître l’étendue, la portée de l’instrument, à l’aide duquel est étudiée la nature. Il se sent, de la sorte, protégé, moins peut-être contre le spiritualisme, qui n’est plus guère un péril, que contre l’autre hypothèse, qui, aujourd’hui, a pour elle, non-seulement, comme au temps de Kant, l’intérêt scientifique, mais aussi l’ « intérêt populaire. » En restant un « critique, » il échappe à la séduction des plus belles hardiesses, de celles qui, auprès de lui, sont le plus avidement accueillies. Schopenhauer, comparant la métaphysique et les. sciences naturelles, donnait l’avantage à la métaphysique et l’appelait « un Mont-Blanc auprès d’une taupinière. » Helmholtz s’est contenté de la taupinière.

III. — Si Helmholtz a fait, une fois de plus, à propos des sciences médicales, le « discours de la méthode critique, » du Bois-Reymond en a écrit, ou du moins esquissé l’histoire. C’est à Cologne[1], dans la « Réunion des lectures scientifiques », qu’il a, en quelques chapitres courts et nerveux, tracé le dessin de ce livre qui reste à faire, même après Condorcet, sur les progrès, ou plutôt sur les démarches de l’esprit humain à la recherche de la vérité. Et la pensée qui l’inspire, ce n’est ni la pensée de Turgot, ni la pensée de Condorcet, ni la pensée du législateur de l’histoire, Auguste Comte, c’est la pensée même de Kant. L’histoire de la science est, pour lui, l’histoire de l’acheminement vers la méthode critique.

Cinq périodes précèdent le temps où la méthode critique fut fondée. — À l’origine, au seuil de l’histoire, s’ouvre le siècle de la raison inconsciente ; siècle de tâtonnements difficiles, de lutte obscure pour la vie, de croyance à des pouvoirs invisibles qu’il faut ou

  1. Culturgeschichte und Naturwissenschaft. Discours prononcé à Cologne, le 24 mars 1877, publié par la Deutsche Rundschau, au mois de novembre 1877,