Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
revue philosophique

rialiste[1]. Peut-être alors importe-t-il (et je veux croire qu’Helmholtz, de même que Tyndall, Huxley, Lewes, est de cet avis) de ne pas disputer à la rêverie, à l’idéal et à la croyance, la région invisible, où d’ailleurs elles sauront toujours se réserver un asile. Peut-être même y a-t-il encore au-dessus de toute science ce que Hamann appelait la « métacritique ». Mais, depuis Socrate, de quelque nom qu’elle se nomme, cette hypothèse éternelle est condamnée à ne pouvoir dire que ces mots : « Je sais que je ne sais rien. » Et qui l’a condamnée ? Socrate, oui, et Kant après lui, et, avec eux, la philosophie.

Car la philosophie, malgré l’alliance par laquelle la métaphysique proprement dite essaie de se fortifier et de la compromettre, elle, — est et reste indépendante. La philosophie est une science. Elle est la connaissance des. faits de l’esprit et de l’âme, et de leurs lois. « De même que l’anatomiste, quand il se sert du microscope, doit se rendre compte de son instrument, de même le premier devoir, pour tout artisan de la science, est d’étudier exactement la portée de cet instrument supérieur, la pensée humaine[2]. » Telle est, du moins, la philosophie, telle que l’ont entendue Socrate et Kant[3]. Et, ainsi comprise, tout relève d’elle, de la science du savoir. C’est elle qui, par l’analyse de l’esprit, de ses formes, de ses lois, dessine d’avance le cadre des diverses sciences, c’est elle qui fixe, établit, légitime la méthode, c’est elle qui consacre et garantit les résultats. En s’appuyant sur elle, les sciences de la nature ont trouvé sécurité et progrès. Dans la médecine en particulier, cette influence a été le salut. Par la philosophie critique a été porté le plus rude coup à la médecine du temps de la déduction et des systèmes. Par elle, il a été prouvé que « tout raisonnement métaphysique est ou un sophisme, ou une preuve expérimentale déguisée[4]. » Par elle, la certitude, ou, au moins, l’extrême probabilité scientifique est fondée. — Et quand, à la fin de son discours, Helmholtz résume spirituellement sa consultation sur l’état de « dame Médecine, » il peut dire : « Nous avons eu tout lieu d’être satisfaits du traitement que lui a ordonné l’école des sciences naturelles, et nous ne pouvons que recommander à la jeune génération de persister dans la même thérapeutique[5]. »

  1. Rede, p. 25.
  2. Rede, p. 33.
  3. À propos de Kant, Helmholtz remarque que la doctrine Kantienne des axiomes géométriques et la théorie de l’intuition pure a priori (die reine Anschauung a priori) ouvrait encore la porte à la métaphysique, jusqu’à ce que les travaux de physiologie expérimentale, et plus tard les recherches mathématiques de Lobatschewski, Gauss, Riemann, eussent démontré l’origine des axiomes dans l’expérience même. (Rede, p. 30-31.)
  4. Rede, p. 34.
  5. Rede, p. 36.