Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
69
gérard. — les tendances critiques en allemagne

qu’à force de travail, il y aura des hypothèses qui, soutenues comme des dogmes, permettront de lever d’un seul coup toutes les énigmes. Et tant qu’il y aura des gens assez dépourvus de critique, assez légers pour croire vrai ce qu’ils souhaitent être tel, les hypothèses trouveront créance. Ces deux classes d’hommes sont immortelles : et c’est à la dernière que toujours appartiendra la majorité[1]. » Ce qui revient à dire que l’humanité est une race métaphysique dans laquelle quelques métaphysiciens de génie commandent à une armée immense de métaphysiciens dociles.

Non qu’il faille écarter à jamais l’hypothèse[2] du domaine de la science. Elle est la divination d’une « uniformité », d’une loi dans l’ordre des événements naturels. Elle est l’exercice d’un pouvoir légitime de l’esprit, semblable à l’inspiration de l’artiste. Mais elle ne peut se soustraire au verdict de l’expérience, ni, à plus forte raison, se substituer à l’expérience même. Elle n’a de valeur qu’à condition de deviner juste, et de disparaître pour faire place à une loi. Quant à ces mille hypothèses, qui naissent d’analogies faciles, trop tôt converties par le demi-savoir en ressemblances, sinon en identités profondes, il se peut qu’à la faveur d’un hasard, la science en sorte. Mais il en est de ces accidents heureux comme de ces rêves à peine esquissés, de ces demi-mots, où il plaît à certains esprits de découvrir l’origine mystérieuse des grandes vérités acquises au savoir humain. Il n’y a de vrai et de durable que ce qui est fondé sur la méthode. Peut-être, dit Helmholtz[3], y a-t-il dans la centaine de livres et brochures qui paraissent chaque année sur l’éther, sur la constitution des atomes, sur d’autres sujets encore, et qui épuisent, jusqu’aux nuances les plus délicates, toutes les hypothèses possibles, peut-être y a-t-il le germe de la théorie véritable. Et pourtant elle reste à trouver. » Au progrès de la science ne servent que les observations tirées de la réalité, les preuves empruntées à l’expérience.

Or, la métaphysique est une hypothèse éternelle. C’est assez dire qu’elle reste à jamais exclue de l’ordre des sciences. Sans doute, et Helmholtz le reconnaît, elle a ses racines dans l’esprit humain. « Elle repose sur deux motifs. Ou l’homme se considère comme élevé au-dessus du reste de la nature : et il est spiritualiste. Ou il se regarde comme maître de l’univers par la pensée : et il est maté-

  1. Rede, p. 25.
  2. Sur tout ce qui concerne l’hypothèse, Rede, p. 27 et 28.
  3. Rede, p. 29. — Ici, parlant incidemment des questions de priorité, dans la science, Helmholtz se rappelle la discussion soulevée par Dühring, au sujet de la date de découverte de la loi sur la conservation de la force.