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bancs de l’Université, régnait, bien que fort ébranlée et très-compromise, l’ancienne doctrine métaphysique de Stahl, le vitalisme. En vain, quelques novateurs avaient-ils tenté d’y adapter, plus ou moins habilement, les découvertes alors récentes d’Albert de Haller sur l’irritabilité des nerfs. L’a âme de vie », l’anima inscia, restait le dogme sacré. Et de ce principe, que le doute ne pouvait atteindre sans grave offense, dérivait, par déduction, jusque dans les moindres détails, tout le système de pathologie et de thérapeutique. Le mot orgueilleux d’Hippocrate « ἰατρὸς φιλόσοφος ἰσόθεος » était toujours la devise de l’école : la croyance aveugle à la parole du maître, l’intolérance contre les dissidents, le respect de la lettre, la foi aux livres, à l’autorité, le mépris de l’expérience, demeuraient les caractères distinctifs de la science médicale et du médecin. Parmi les souvenirs de cette époque, à laquelle Helmholtz ne peut songer sans un sourire d’ironie, il est plus d’un trait, cité par lui, qui rappelle les médecins de Molière. C’était le temps où un docteur repoussait l’auscultation, comme un procédé de mécanique grossière, par lequel la noble créature humaine est réduite à l’état de machine ; où un autre. trouvait du plus mauvais goût de compter les secondes sur sa montre, en tâtant le pouls du malade ; où tel autre encore, dans les maladies d’yeux, refusait de se servir du miroir, sous prétexte que lui-même avait très-bonne vue ; ou tel physiologiste enfin, très-renommé, presque illustre, disait : « Je laisse les expériences aux physiciens, la physiologie n’a rien à y voir. » Et il en fut ainsi jusqu’à ce que vînt Jean Müller[1], le « naturaliste ferme, inébranlable », qui, par sa théorie de l’énergie spécifique des nerfs, donna à la physiologie du système nerveux, comme à la science de l’esprit, un achèvement presque classique dans la forme et dans la rigueur. Après lui[2], son exemple, son génie inspire trois générations depuis Henle et Lotze, du Bois-Reymoud, Virchow, Lieberkühn et Meyer, jusqu’à W. Busch, Max Schultze, de Graefe et Schneider. C’est l’époque de l’expérimentation, du microscope, de la vivisection : la méthode est fondée, la science suit un cours régulier, la « vieille dame Médecine » a repris force et jeunesse à la source des sciences naturelles.

Et quelle est la cause de ce rajeunissement, de ce progrès, sinon le changement de la méthode même ? Elle seule a tout fait. — Mais, ajoute Helmholtz, la lutte n’est pas finie. « Tant qu’il y aura des amours-propres assez exaltés pour prétendre atteindre, par des éclairs de génie, ce que le genre humain ne peut espérer obtenir

  1. Rede, p. 22-24.
  2. Rede, p. 24-25.