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gérard. — les tendances critiques en allemagne

de Kant lui-même, et l’œuvre d’Albert Lange[1], par exemple, dont la trace est déjà si profonde, révèle à chaque page cette émotion contenue, faite de respect pour l’énergie de l’esprit, et d’acquiescement dans le doute, à ne pas tenter l’inconnaissable. Enfin cette même discipline s’impose à la haute science qui, visiblement, aime à se recommander d’une telle autorité, à s’étayer d’un tel appui. Naguère, à Munich, elle a peut-être prêté force et secours au docteur Virchow dans son attaque contre les dévots de Haeckel, contre les fanatiques de ce naturalisme qui devient une religion. Et, de même, et avec plus d’évidence encore, je la retrouve dans deux discours prononcés à Berlin, à Cologne, par les deux hommes qui tiennent le premier rang dans la science allemande, H. Helmholtz et E. du Bois-Reymond. À lire ces discours, il me semble qu’apparaît et se résume avec clarté la pensée qui, à l’heure présente, répond le mieux aux. inquiétudes, aux vœux secrets, non-seulement de l’Allemagne, mais de l’Europe.

II. — C’est à propos de la méthode dans les sciences médicales, que Helmholtz[2] est revenu, une fois de plus, sur les lois générales de l’esprit. — Ayant à parler devant les élèves de l’ « Institut de médecine militaire, » il s’est rappelé le temps où lui-même il soutenait, à la veille de son noviciat, une thèse sur l’anévrisme. Il a été médecin à la suite de l’armée ; plus tard, professeur à Kœnigsberg, de 1849 à 1856, il faisait, chaque hiver, un cours de « pathologie générale ; » plus tard encore, à Heidelberg, bien que préoccupé surtout de ses recherches physiques, il restait attaché aux mêmes études ; aujourd’hui, instruit par une longue expérience, il peut traiter d’un tel sujet en connaissance de cause. Il ne le saisit, au demeurant, que pour y chercher une preuve nouvelle à l’appui des idées qui l’ont sans cesse dirigé lui-même dans ses travaux, un exemple de la critique et de la méthode qu’il convient d’adopter dans les sciences. L’histoire de la médecine, en ce siècle, lui paraît démontrer avec éclat que l’examen des sources de la connaissance, la « critique de l’esprit » est le premier devoir de la vraie philosophie.

Dans cette science rajeunie, renouvelée, Helmholtz a peine à reconnaître aujourd’hui celle qu’il appelait « la vénérable matrone, » la a vieille dame Médecine. » Au temps[3] où il était encore sur les

  1. Geschichte des Materialismus (troisième édition, publiée cette année même à Iserlohn).
  2. Das Denken in der Medicin. — Rede, gehalten zur Feier des Stiftungstages der militärärztlichen Bildungsanstalten, 2. August 1877. — (Berlin, G. Lange, 1877.)
  3. Rede, p. 10-20.