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DELBŒUF. — LA LOI PSYCHOPHYSIQUE 61

et l'excitation sont réduites en nombres. C'est seulement quand cette réduction est opérée qu'on peut comparer les nombres et voir s'ils sont soumis à une loi ; et c'est seulement quand la loi est découverte qu'on peut se contenter de prendre la mesure de l'excitation et déduire par le calcul celle de la sensation.

Ou peut aujourd'hui très-légitimement mesurer l'espace parcouru par un corps qui tombe en évaluant simplement le temps écoulé depuis le commencement de la chute, et réciproquement; mais au- paravant il a été nécessaire d'établir qu'il y a une relation cons- tante entre ces deux quantités. Pour obtenir cette relation on a réduit le temps en nombre en le rapportant à la seconde, l'espace en nombre en le rapportant au mètre, puis, en face des nombres des temps écoulés, 1, 2, 3, A... on a inscrit les nombres des mètres parcourus, 5, 15, 25, 35... En comparant ensuite ces deux séries de nombres on a vu que, pendant que les uns croissent d'une unité, 1,2, 3, 4... les autres croissent proportionnellement à la suite des nombres impairs, 1, 3, 5, 7... D'où l'on a déduit la loi connue que l'espace parcouru est proportionnel au carré du temps.

Rien de semblable dans Fechner. A priori la mesure de la sensa- tion est donnée par l'excitation. Dès lors il est impossible de se faire aucune idée de ce que peut être la quantité de la sensation. Et voici d'où provient cette erreur. Nous sommes tellement familiarisés avec l'emploi de certains instruments de physique que nous oublions les principes et les théories qui ont guidé les inventeurs. Il nous semble, par exemple, que nous mesurons la chaleur par le thermomètre. Mais, en réalité, on a d'abord mesuré la chaleur par la chaleur et on l'a fait croître successivement par unités toujours égales; on Ta ainsi représentée par un nombre; puis on a mesuré la dilatation du mercure dans le tube thermométrique au moyen d'une unité de volume; et l'on a vu ensuite qu'il y a proportionnalité entre l'ac- croissement de chaleur d'un côté et l'accroissement de volume de l'autre. Ce n'est qu'à ce moment qu'on a pu substituer une mesure à l'autre. Il en est de même du baromètre. Ces mesures indirectes prêtent d'autant plus à l'illusion qu'il y a parallélisme complet entre la marche de l'instrument et celle du phénomène, et Ton est facile- ment porté à prendre à la lettre ces expressions inexactes : le ther- momètre mesure la température, le baromètre mesure la pression atmosphérique. Il n'en est plus tout à fait ainsi, à la rigueur, quand les deux phénomènes en dépendance réciproque ont des marches différentes. Ainsi on ne peut plus dire aussi bien que le temps de la chute mesure l'espace parcouru, ou que la distance angulaire décrite par l'aiguille du galvanomètre mesure l'intensité du courant; ou, pour en revenir à la sensation, que la hauteur à laquelle celui qui

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