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ANALYSESviardot. — Libre Examen.

teur ne se résigne pas à n’être qu’un athée. Dénoncé comme tel par M. Dupanloup, dans la brochure : Où allons-nous ? il a protesté vivement contre cette appellation blessante. Une correspondance publiée à la fin du volume nous met au courant du débat intervenu entre l’évêque et le libre penseur. Celui-ci se défend de vouloir supprimer toute idée de Dieu. Il ne repousse, dit-il, que le Dieu de la Bible et de l’Eglise : on peut ajouter, le Dieu personnel, intelligent et libre du déisme. Il demande seulement à mettre « dans ce grand nom de Dieu », qu’il respecte et qu’il conserve, une idée différente de la conception populaire. Quelle est cette idée ? C’est ce que n’éclaircissent pas suffisamment les explications données par M. Viardot (p. 51 et 52). Ce passage, un peu énigmatique, témoigne du besoin de retrouver Dieu sous une forme quelconque plutôt qu’il n’en donne une définition intelligible. L’auteur se dérobe en accumulant des citations quelque peu incohérentes, tour à tour empruntées à Kant ou à Kepler, à M. Taine ou à M. Vacherot. Par moments on croirait que M. Viardot restitue à Dieu, sans s’en apercevoir, les attributs qu’il lui avait péremptoirement refusés, par exemple quand il le définit « la cause première, inconnue et générale, des causes secondes », — ou encore « la suprême synthèse, dans l’ordre naturel, à qui toute loi remonte et de qui toute loi descend, comme il est, dans l’ordre idéal, l’absolu du vrai, du bien et du beau. » En quoi ces expressions diffèrent-elles du langage ordinaire des spiritualistes ? Ou bien il n’y a là qu’un verbiage sans portée, ou bien cet être qu’on proclame la cause première et finale, qu’on appelle l’absolu, est très-proche parent du Dieu infini et parfait des déistes. L’être surnaturel, ou, pour parler en philosophe, l’être métaphysique, en dépit des efforts qu’a faits M. Viardot pour l’exclure de sa pensée, semble s’imposer de nouveau à sa conscience et à sa raison. Tant il est vrai que l’esprit humain a peine à se déprendre de l’idée d’un principe premier. Ajoutons que si les objections de M. Viardot ne sont pas sans force contre la croyance à un créateur intermittent, pour ainsi dire, qui tout d’un coup passerait du repos à l’action, elles n’ont plus la même portée, malgré les obscurités de la question, quand on les met en présence d’une doctrine plus large qui, comme celle d’Emile Saisset par exemple, tout en maintenant l’idée d’un Dieu personnel et conscient, admet un monde créé coéternel à son créateur.

Le chapitre III, qui a pour titre la Providence et pour sujet une multitude de questions, est de ceux où se manifestent le mieux les défauts de la méthode suivie par l’auteur. Après avoir repris, non sans éclat, les vieilles objections que l’existence du mal permet d’opposer au dogme de la bonté et de la puissance divine, M. Viardot s’égare dans un grand nombre de digressions et brise sans cesse le fil de son sujet. C’est moins une discussion serrée et précise du problème de la Providence qu’une série de dissertations trop peu liées sur le péché originel, sur l’universalité de la morale, sur la liberté humaine, sur les avantages comparés du monothéisme et du polythéisme. C’est que rien ne favorise