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ANALYSESdühring. — Cursus der Philosophie.

nature. Il n’y a que les esprits affranchis de toute superstition, ceux que l’opinion désigne sous le nom de matérialistes, qui sachent interpréter librement et exactement les faits, surtout lorsqu’il s’agit des phénomènes vitaux. — Que dire maintenant de la façon dont se recrutent les professeurs, des intrigues, des coteries, du népotisme, qui décident souverainement des nominations ? L’époque actuelle compte cependant de généreux esprits, qui ont, par leurs luttes et leurs souffrances, préparé un meilleur avenir pour la pensée et pour la science : Feuerbach et Auguste Comte en sont les plus illustres représentants. Bien que le premier n’ait réussi que difficilement à se débarrasser de l’hégélianisme, que l’influence de l’éducation catholique et l’action de Saint-Simon se trahissent trop visiblement dans la sentimentalité mystique du second, ils brillent tous deux comme les étoiles conductrices des esprits contemporains. En résumé, il n’y a de sérieux progrès à espérer pour la science que du concours des intelligences complètement indépendantes des corporations et des universités. — Il faut procéder à une réforme radicale de l’enseignement supérieur. L’ordre de préséance des facultés doit être interverti. L’extension abusive qu’ont prise les études philologiques n’aura plus de raison d’être, quand les gymnases auront modifié leur système suranné d’éducation, quand au stérile enseignement de la philologie aura succédé l’étude des sciences positives. La culture des sciences ne sera plus séparée de celle de la philosophie ; et l’histoire prendra de plus en plus un caractère scientifique, au lieu de rester purement descriptive. Telles sont les transformations que réclame l’enseignement de la faculté de philosophie. — Les autres facultés « ne vivent que d’états négatifs de la pensée ou du corps » : la médecine, de la maladie ; la jurisprudence, de l’injustice ; la théologie, de l’inquiétude des âmes séparées de leur Dieu imaginaire. À mesure que les ressources et les lumières de la société se développent, les disciplines négatives cessent d’avoir un objet. — Il y aurait encore d’importantes modifications à réaliser dans l’économie intérieure des universités. Les femmes devraient avoir accès aux hautes études. L’éducation générale des esprits est trop souvent sacrifiée aux préoccupations professionnelles. Les universités ne justifient pas leur nom. Outre que les méthodes n’y sont pas assez rigoureusement scientifiques, la science véritable de la vie, la philosophie de la réalité (Wirklichkeitsphilosophie) ne devrait être absente d’aucune des parties de l’enseignement. C’est à elle qu’il appartient de développer dans les âmes le sentiment de l’universelle solidarité, qui relie l’homme à la nature et les hommes entre eux.

conclusion. Étude et développement de la philosophie de la réalité. — La philosophie de la réalité doit reposer sur la base d’une solide instruction mathématique. À ce point de vue, le traité de l’auteur sur les principes généraux de la mécanique (Berlin, 1873), en est le préliminaire indispensable. Son premier ouvrage (la Dialectique naturelle, Berlin, 1865) éclairait les questions de logique et les problèmes