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droit des préjugés, avec les professeurs de philosophie allemands, ses contemporains. — Kant n’a su que corrompre le criticisme de Hume, en réservant pour la foi la place que laissait vide la critique. Les extravagances métaphysiques auxquelles il ouvrait ainsi la porte, ont montré que le génie allemand devait avoir sa fièvre de métaphysique, avant d’entrer dans le plein et régulier exercice de ses facultés. La philosophie de Kant convenait merveilleusement à ces professeurs, qui sont condamnés par leur position à la tentative impossible de concilier les préjugés traditionnels de la foi politique ou religieuse avec les exigences de la pensée scientifique. — Le siècle présent débute par une conception romantique de l’histoire, qui met le culte du passé, la religion des faits accomplis au-dessus du respect du droit. En philosophie, il ne prend de Kant que ce qui favorise les institutions conservatrices. La doctrine stérile des successeurs de Kant est gardée pieuse, sèment dans les universités « comme une momie » par des disciples sans originalité. Les universités et les académies, corps salariés, dépendent trop de l’État pour que la culture libre de la science puisse s’y acclimater. Qu’on voie ce que sont devenues la science du droit et l’économie politique entre les mains de professeurs patentés ! — Les choses ne vont pas mieux dans la faculté de philosophie. Les mathématiques et les sciences physiques, malgré l’éclat des découvertes et la célébrité des maîtres, ne tiennent que le second rang à côté des philologues et des historiens. Et ceux-ci ne sont trop souvent que les serviteurs complaisants de la tradition conservatrice. On sait ce qu’est devenue la collation des grades de docteur. — La philosophie proprement dite, avec ses prêtres de deuxième classe, figurerait bien mieux dans la faculté de théologie. Les professeurs qui l’enseignent essayent vainement de dissimuler leurs doctrines scolastiques sous un étalage suspect d’érudition scientifique. Schopenhauer avait déjà très-bien signalé les vices de la philosophie officielle : mais sa métaphysique et sa vénération excessive pour Kant l’égarèrent à son tour. On ne pourrait même comparer nos prêtres de deuxième classe aux sophistes antiques. Ceux-ci, du moins, déployaient leurs talents au grand jour de la libre concurrence. Le public athénien n’aurait pas souffert qu’on se présentât devant lui sans talent, sans jugement. L’ombre des écoles, où professent les maîtres de notre moderne sagesse, favorise la sottise et l’intrigue. « De quelque côté qu’on se tourne, on voit que la science véritable et rigoureuse est partout négligée ou plutôt exclue par les maîtres de la philosophie universitaire. » Et ce n’est pas seulement la science, mais encore la morale, qui est bannie de leurs leçons : de plates injures contre le matérialisme tiennent souvent lieu d’un enseignement véritable de la morale. — Les sciences mathématiques et physiques ont subi l’influence du milieu pseudo-philosophique où elles se trouvent placées. C’est ainsi qu’un Gauss a été entraîné aux fantaisies mystiques de la géométrie non euclidienne. Ce que nous disons des mathématiques est encore bien plus vrai des sciences de la