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ANALYSESdühring. — Cursus der Philosophie.

viendra couronner cette éducation vraiment libérale. Il n’est question naturellement que d’une philosophie tirée tout entière des enseignements de la réalité, qui saura entretenir à la fois la virile confiance de l’intelligence dans ses propres forces et le sentiment compatissant de la solidarité universelle.

VIII. La science et la philosophie dans la société ancienne et dans la nouvelle. — C’est en Grèce que la science et la philosophie commencent à s’émanciper du despotisme religieux et politique. Il faut, sans doute, demandera la Grèce des méthodes et des directions pour la pensée, plutôt que des découvertes positives. Sous ce point de vue, l’ère antésocratique apparaît comme plus originale et plus féconde que la période socratique. L’école de Socrate ne s’est montrée véritablement supérieure à ses devancières qu’en morale. — La Grèce a dû à sa liberté sociale, bien autrement étendue que celle dont les modernes ont joui jusqu’à ce jour, les admirables développements de sa philosophie morale. Il en a été tout autrement pour l’étude des sciences physiques et même des sciences exactes. L’œuvre mathématique des anciens, bien que très-estimable, a été singulièrement dépassée depuis le xviie siècle. — C’est avec les sophistes que commence la décadence intellectuelle de la Grèce. S’ils ont par leur scepticisme contribué à détruire la superstition, ils ont, en même temps, abaissé les caractères par leur négation du droit. Combien toutefois la liberté philosophique des écoles grecques contraste avec la dépendance où l’État les tient chez nous ! L’empire romain seul réussit à supprimer cette liberté. — Il n’est pas étonnant que les Romains, qui avaient débuté par faire des esclaves leurs maîtres de philosophie, n’aient jamais pu s’élever à une véritable originalité philosophique. Leur politique, fondée sur l’oppression, ne faisait qu’exploiter à son profit la culture intellectuelle. — Au moyen âge, le despotisme impérial se compliqua de la théocratie catholique. « La barbarie germanique n’aurait jamais été aussi funeste à la liberté de l’esprit et de la science, que la religion chrétienne. » — Avec l’affaiblissement de la puissance de l’Église commence au xvie siècle le réveil des esprits. La science moderne a ses précurseurs et ses modèles dans Léonard de Vinci et surtout Galilée, comme la pensée philosophique dans Giordano Bruno. — Mais le despotisme clérical n’a été jamais secoué qu’imparfaitement, et d’ailleurs la domination oppressive de l’État est venue se substituer à la théocratie. — La révolution anglaise coïncide avec la révolution scientifique et philosophique, dont Newton et Locke sont les promoteurs. Elle montre combien la liberté politique est étroitement liée à la liberté intellectuelle. En France, le xviiie siècle obéit, avec Voltaire, aux inspirations de la philosophie anglaise. Cette grande époque, que l’esprit réactionnaire appelle dédaigneusement « le siècle des lumières », a fait plus que toute autre pour l’émancipation de la pensée. — L’Anglais Hume serait encore aujourd’hui le maître le plus autorisé de la sagesse humaine, sans les tendances trop aristocratiques de son esprit. Il contraste, en tout cas, par son indépendance absolue à l’en-