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logique, celles de la souffrance : mais, pour condamner la vie, il faudrait soutenir que la peine y augmente à mesure que l’activité se développe. Or, on ne saurait nier que la vie croisse en énergie, en harmonie, à mesure qu’elle s’enrichit de facultés nouvelles. — Dans l’appréciation générale de la vie, il convient de partir de ce principe que les obstacles naturels qui s’opposent au jeu des excitations vitales ne sont pas un mal, mais une nécessité sans laquelle la vie n’aurait pas de prix. Il est contraire à la logique de rêver une jouissance sans travail. L’organisation elle-même est un effort, une lutte contre les forces inférieures. — La vie est un processus rhythmique, non une substance ; une individualité concrète et mobile, comme les sensations et les sentiments que chaque instant amène, non une essence abstraite et immuable. La mort est un élément essentiel de la vie. Et Galilée avait raison de rappeler aux fous qui aspirent à l’immortalité, qu’ils mériteraient d’être changés en pierres. La vie est un travail qu’accomplit la nature, avec ou sans notre concours. L’effort qui rapproche du désir l’objet poursuivi, trouve autant d’occasions de plaisir, qu’il rencontre et surmonte d’obstacles. — La sensation résulte de l’opposition harmonique des forces. La loi de la différence est la loi de l’action et de la sensibilité : le plaisir n’existerait pas sans elle. La succession des âges, et celle des goûts et des occupations qui l’accompagne, renouvellent et ravivent le sentiment de la vie : la permanence des mêmes états et l’habitude des mêmes actes l’émousseraient et le remplaceraient par l’ennui. — Si le conflit incessant de l’idéal et de la réalité engendre la souffrance, il ne faut pas oublier que le souci de l’avenir et du mieux excite et console. — La loi de la différence, dont nous faisons la règle suprême de la sensibilité, se démontre encore par ce fait, que la répétition de ce qui a été déjà fait ou éprouvé n’offre plus aucun charme. Ne serait-il pas étonnant que, là où le désir a cessé, la répétition de l’acte pût causer le plaisir ? Personne ne voudrait recommencer la même vie. Cela prouve non pas que l’on est mécontent de l’expérience faite, mais que l’on trouve absurde de refaire deux fois la même chose. La vie satisfaite est donc une sorte de mort, puisqu’on ne saurait la répéter avec le même plaisir. — L’idée de la vie est, en soi, celle d’un tout harmonieux. Les désordres particuliers qui viennent en troubler le cours ont seuls donné naissance à la conception pessimiste. Mais de tels désordres sont l’exception : autrement, la vie ne se maintiendrait pas. Le mal est fait, d’ailleurs, pour être corrigé par le déploiement des énergies supérieures de l’humanité. La vie humaine n’a tout son prix que par la tentative et le succès de telles améliorations. Enfin, nous devons nous souvenir qu’une nécessité mathématique produit dans le monde aussi bien les désordres particuliers, qui nous choquent, que l’ordre général, qui nous enchante. « La pensée de l’inévitable nécessité est un apaisement pour la réflexion théorique et un appui pour l’action pratique. »

Il vaut mieux chercher les moyens d’ajouter du prix à la vie que se