Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
672
revue philosophique

l’admiration stérile du passé. Là est la source de cette admiration complaisante et presque servile, que la littérature et la science trahissent encore pour l’antiquité classique. Les hommes de la révolution française n’avaient pas su eux-mêmes s’affranchir de cette tendance. Ainsi s’explique la funeste persistance de l’emploi du latin, comme langue scientifique, dans les temps modernes. Des mathématiciens, comme Gauss et Jacobi, écrivent encore en latin, tandis que les Français du xviiie siècle se servaient de leur langue nationale. On a perpétué ainsi entre les savants et la foule une opposition qui n’a profité ni aux uns ni aux autres. L’empire romain était le type de l’État conquérant et oppresseur. Son influence, jointe à celle du moyen âge, a produit la centralisation excessive de l’État moderne et le respect superstitieux, le fétichisme, qu’il faut dissiper, pour le rôle et la puissance de l’État. — La centralisation excessive de l’État moderne semble condamner tout espoir de réaliser l’idéal politique que nous poursuivons. Mais qu’on se rassure, en songeant qu’elle mourra fatalement de ses propres excès. Le dépérissement de l’Angleterre, par l’effet de sa centralisation commerciale, nous en fournit une preuve. En voulant étendre outre mesure son empire industriel et commercial, elle s’est affaiblie au centre, au cœur même de sa puissance. N’a-t-on pas vu, d’un autre côté, ce que vingt ans de centralisation despotique avaient enlevé de vitalité à un grand peuple, comme la France, en le rendant incapable de résister à l’invasion étrangère. L’État centralisateur absorbe la police, l’armée, la justice, l’instruction, pour en faire autant d’instruments d’oppression intellectuelle ou physique. Il faut bien se persuader que le progrès politique d’un peuple dépend de sa capacité pour la libre association des forces individuelles.

VI. Individualisation et perfectionnement de la vie. — Le pessimisme est vieux comme la philosophie. Le cyrénaïque Hégésias l’enseignait. Il constitue le fond du bouddhisme et du christianisme. Byron est le vrai représentant du pessimisme au xixe siècle. « Chez lui, la passion de la vie prend toujours le dessus. Ce qu’il condamne, c’est la corruption du temps ; mais le découragement ne l’atteint pas, et il espère dans l’avenir. » Il professe le pessimisme de l’indignation, non celui du découragement et de l’anéantissement, comme les disciples de Schopenhauer. Henri Heine n’a pas le sérieux de Byron, dont il n’est souvent, d’ailleurs, que le copiste. — C’est l’état de la société anglaise qui inspira le pessimisme de Byron ; et, comme cet état est aussi celui dès hautes classes en France et en Allemagne, on comprend que Byron soit, par excellence, « le poëte international. » Le pessimisme anglais, qui trouva sa première expression dans les théories de Malthus, engendra bientôt le darwinisme et sa théorie, essentiellement pessimiste, de la concurrence vitale. Mais ce n’est pas la vie, c’est l’organisation sociale qu’il faut accuser. Au regard d’une nature généreuse et que les circonstances n’ont pas déprimée, il n’y a pas entre les hommes de lutte pour l’existence, au sens darwinien,