Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/680

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
670
revue philosophique

moyenne des autres hommes. » Grâce à la communauté de ce système d’éducation, on verra disparaître de plus en plus l’inégalité des intelligences, qui expose le génie à s’épuiser dans l’isolement ou à se perdre dans l’excentricité. — La société idéale dont nous parlons ne connaît pas de culte. Chacun de ses membres a dépassé la période enfantine, où l’imagination croit à l’existence, en dehors de la nature, d’êtres qu’on peut apaiser par des sacrifices ou des prières. La spéculation philosophique continue sans doute de méditer sur l’être universel et d’entretenir dans les âmes les hautes pensées et les sentiments généreux, qui sont inséparables d’une telle méditation. Mais elle ne prétend s’appuyer sur aucune institution, sur aucun culte. La morale n’a pas besoin d’un pareil fondement. Elle repose plus sûrement sur la solide base d’un jugement libre et d’un cœur droit, sur l’entendement et la bienveillance réciproque des individus. On fera donc disparaître le serment judiciaire. Il en sera de même de ces institutions, généralement établies sous le patronage de la religion, qui livrent la charité aux inspirations capricieuses de l’individu. La société s’impose le devoir de secourir les membres malades qui l’ont servie, et c’est sa reconnaissance qu’invoquent les malheureux. La charité privée n’en garde pas moins son initiative. La conscience de la solidarité humaine, la sympathie pour les souffrances et les misères de la commune destinée conservent leur action sur les âmes élevées. — La réforme du corps politique commencera par celle des petites unités sociales, par celle de la famille avant tout. Le temps, qui a corrigé bien des iniquités, a laissé subsister l’inégalité et l’oppression de la femme dans le mariage. La femme est absolument dépendante du mari pour le choix du domicile, et ne garde même pas la liberté « qui appartient à la plus vulgaire servante de disposer de sa personne : la loi ne connaît pas le viol conjugal. » L’adultère de la femme est rigoureusement poursuivi, non celui du mari. Le mariage étant aujourd’hui la seule garantie d’existence pour la femme, on s’explique les lois restrictives et même oppressives qui l’entourent. Il n’en est plus de même dans la libre association. La femme y est assurée de trouver, pour elle et son enfant, les moyens d’existence, les secours et la protection nécessaires. Le mariage vraiment libre et moral n’existe que dans ces conditions. La mère garde la tutelle de l’enfant jusque vers quatorze ans, et l’État aide et achève son éducation. Le père est associé naturellement à cette tâche. L’union et l’amour des époux restent toujours la meilleure garantie de la famille : mais la contrainte a disparu de leurs rapports. Ce sont là, sans doute, des transformations encore bien éloignées. Une réforme politique et sociale devra préparer cette révolution domestique. Il suffirait présentement de soustraire la femme à la tutelle civile où la loi la maintient. Qu’on n’oublie pas que les progrès réalisés dans l’état de la femme mesurent la civilisation d’un peuple.

Jusqu’ici, la philosophie de l’histoire n’a guère été comprise, ou plutôt entrevue, que par Auguste Comte et par Buckle. Il leur manque