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droit romain ait pris tant d’importance parmi nous. Nous n’avons toutefois que des fragments de la science des juristes impériaux, et c’est sur un tel fond que s’appuie l’enseignement juridique. Que de critiques le droit criminel et le droit public ne comporteraient-ils pas à leur tour ? — Le principe du droit doit être cherché dans la première expérience de l’injustice, dans le ressentiment (Rache) qui la suit, comme par une nécessité mécanique. Le penchant de la vengeance est une disposition salutaire de la nature. Le droit privé de la vindicte a été reconnu par tous les peuplés comme l’origine du droit criminel : la vindicte par le sang, le système de composition l’indiquent suffisamment. Le ressentiment n’est satisfait que par le repentir et l’expiation du coupable. Il n’y a ainsi rien de mystique dans le repentir. — Sous sa forme la plus achevée, le droit criminel ne peut être que l’organisation publique de la vengeance. Il faut avouer que, dans l’état actuel, cette organisation est inférieure aux formes primitives de la vengeance ; de même que les idées qui l’inspirent, au principe même de la loi du talion. Le criminaliste Feuerbach, le père du philosophe, fait de l’intimidation du coupable le but de la législation pénale. Mais, bien que Feuerbach l’emporte sur les disciples dégénérés de Kant par les qualités de logique et de bon sens qu’il oppose aux subtilités puériles de leur dialectique, il ne réussit à faire reposer le droit que sur un principe relatif. Sans doute, l’intimidation est un but, que la loi peut poursuivre. Mais la vengeance se propose une fin différente. La réparation du dommage causé ne lui suffit même pas. Elle exige que les volontés soient rétablies dans leurs droits, et, pour cela, que la volonté coupable subisse une diminution de sa liberté proportionnelle à la réduction qu’elle a tenté d’imposer à la liberté d’autrui. Il est évident que cette réparation ne sera obtenue qu’autant que l’individu trouvera le concours des autres volontés, qui se sentent menacées par l’injustice commise. La société seule portera dans l’exercice de la vindicte l’impartialité et la force suffisante, Mais le pouvoir judiciaire de la société n’exprime ici que la libre association des volontés individuelles. Le recours à une force étrangère, à une autorité despotique, par exemple, obligerait les individus à payer la sécurité par l’asservissement. À la doctrine que la vengeance est, dans l’histoire et dans la société, comme dans la nature, le principe de toute justice pénale, la conscience ordinaire, celle qui s’est développée sous l’influence de la tradition, objecte que la vengeance est coupable et condamnée par la justice elle-même, qu’on prétend en dériver. Nous répondons que la justice ne condamne que la substitution de la vengeance individuelle, avec ses entraînements et ses erreurs, à la répression réglée et mesurée de la vindicte publique. Le principe que nous introduisons ici permet de corriger les vices, de combler les lacunes de la législation actuelle, de déterminer la valeur du droit de la guerre, la légitimité des luttes civiles ; de réfuter la théorie, chère à Grotius, du droit du vainqueur ou du plus fort. Le droit primordial de la vengeance individuelle reparait dans les cas où l’action publi-