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ANALYSESdühring. — Cursus der Philosophie.

exemple, peut être permis. Mais, en dehors de ces situations exceptionnelles, les règles de la morale sont strictement rigoureuses. Celui qui doute de l’universalité des principes de la morale n’a qu’à voir si le meurtre prémédité et que rien ne justifie ne provoque pas, dans chaque conscience humaine, un mouvement instinctif de réprobation et le désir unanime d’un châtiment compensateur. — Il y a des devoirs indirects qui naissent des suites que l’observation ou la négligence de nos devoirs envers nous-mêmes peut entraîner ; aussi est-ce un art très-compliqué que celui de gouverner sa propre vie. Il y faut l’exercice, l’habitude. À côté du devoir de se modérer, de se limiter, qui est la solide base de toute moralité, n’oublions pas celui d’exercer, d’aviver toutes les énergies vitales. La juste subordination, l’harmonie des penchants et des idées demande une très-grande attention. Le travail est nécessaire pour relever le sentiment de l’énergie vitale, que la jouissance déprime. On ne méconnaît ce rôle du travail que parce qu’on le juge d’ordinaire d’après les vices de notre état social. L’excès est aussi nuisible, sans doute, dans le travail, que dans le plaisir. Mais le travail, qui n’a d’autre effet que d’exercer les facultés sans les épuiser, et de rendre ainsi plus sensible la conscience de l’activité vitale, paraîtra sans peine un élément nécessaire et bienfaisant de toute jouissance un peu parfaite. — Dans le désaccord des volontés, c’est à l’entendement à décider. La responsabilité de l’individu se mesure au degré de son aptitude à comprendre les motifs qu’on lui suggère. Les motifs ont leur effet nécessaire, malgré l’apparence du contraire. « Si le prétendu libre arbitre était indépendant de toute loi, ce qui, du reste, ne se comprendrait pas, » à quoi bon vouloir agir par la persuasion ou l’éducation sur les volontés humaines ? — L’enseignement du droit n’est, en bonne partie, que l’étude et la justification d’un ensemble d’institutions et de règles destinées à assurer l’oppression de l’homme par l’homme. La jurisprudence, ce ramassis d’affirmations autoritaires, n’a pas même de critérium certain pour distinguer le droit de son contraire. Le droit n’y est souvent qu’un nom donné à l’injustice consacrée par l’histoire ou l’état actuel de la société. La distinction du droit naturel et du droit positif ne saurait être maintenue, à moins que l’on veuille soutenir que le droit écrit seul doive être positif ou, en d’autres termes, avoir de l’efficacité. Les racines de la morale et du droit sont les mêmes, en tant qu’elles sortent de la justice. Mais l’un et l’autre ont une manière différente d’assurer l’efficacité de leurs règles. Le droit met la force au service de ses prescriptions ; la morale ne connaît que les sanctions de la conscience ou de l’opinion publique. — La dénomination de droit civil, maintenue à l’une des parties importantes de notre législation, aurait dû en être bannie depuis longtemps, puisque le citoyen, au sens étroit du mot, a disparu avec les Pandectes. L’empire romain avait fait de l’ancien citoyen un homme privé : il n’était resté du premier que le propriétaire et le père de famille. Étant donné le caractère bourgeois de notre société, où tout est ramené aux droits relatifs à la propriété, on comprend que l’étude du