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pas toujours de l’argent manquant? Ce qui manque à la sensation du rouge pour devenir celle du blanc, n’est-ce pas une partie intégrante de cette dernière sensation, à savoir, celle du vert ?

De plus cette espèce d’état préliminaire, préparatoire de la sensation, est en soi quelque chose. Une pierre est fixée dans le sol; j’essaie de l’en arracher et je n’y parviens pas : mes efforts sont pour cela trop faibles. Mais, en somme, la pierre subit un certain ébranlement, car, si un effort égal à 1 ne l’arrachait pas un peu, un effort égal à 100 ne l’arracherait pas davantage. Et, dans tous les cas, serait-il rationnel d’appeler cet état un arrachement négatif? ne devrait-on pas plutôt réserver cette expression au résultat d’une action qui aurait pour but de la fixer davantage au sol ? Une corde sonore peut en faire vibrer une autre par sympathie. Si le son de la première n’est pas assez intense, la seconde restera muette; dirai-je qu’elle exécute des vibrations négatives ? Non ! Ce langage prête gratuitement à la confusion. Je n’insiste pas sur la sensation négative infinie !

Je ferai encore ressortir une singulière conséquence de cette formule. L’excitation unité, le seuil, comme on l’appelle, est nécessairement très-petite, et entre elle et l’excitation la plus forte il y a une distance considérable. Comparez l’éclat du soleil que l’œil peut supporter avec la faible lueur phosphorescente à laquelle il se montre déjà sensible. Que de sensations différentes sous le rapport de l’intensité peuvent trouver place dans cet intervalle! En revanche, entre cette excitation unité et rien il n’y a qu’un écart insignifiant, et cependant il suffit pour qu’il donne place à des sensations négatives depuis jusqu’à l’infini. Entre ne rien entendre et saisir par l’ouïe la marche d’un insecte dans l’herbe ou le froissement de la feuille sous la dent d’une chenille, il y a l’infini.

Voici encore une autre objection que cette étrangeté suscite à l’esprit de Langer. Si, dit-il, on fait agir ensemble les deux excitations dont l’une donne la sensation + S et l’autre la sensation — S, on devrait avoir une sensation nulle. Je sais bien que l’argumentation revêt aux yeux de Fechner une apparence sophistique : dans son idée, la sensation — S n’est pas destructive de la sensation + S, elle est un acheminement vers celle-ci. Mais Fechner, qui me paraît très-embarrassé dans sa réponse (p. 38 et suiv.), ne s’aperçoit pas, me semble-t-il, de la puissance de cette objection et du trouble apporté dans toute sa psychophysique par cette notion obscure et contradictoire de la sensation négative [1] . Quand de sa formule l’on tire les

  1. Fechner a recours à une comparaison pour montrer la prétendue erreur du raisonnement de Langer, Le cosinus d’un angle de 0° est égal à 1 ; et celui de l’angle de 180° est égal à — 1. Si j’additionne les deux angles, j’ai toujours un angle de 180° dont le cosinus continue à être égal à — 1, tandis