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DELBŒDF. — LA LOI PSYCHOPHYSIQUE 55

Pour le moment nous ne discutons pas la notion du seuil ; nous ' examinons seulement la convenance du choix du 0. Il résulte de ce choix que, lorsque l'excitation est moindre que le seuil, la sensation, quoiqu'étant toujours quelque chose, devient négative, et que, si l'excitation est nulle, la sensation atteint une valeur égale à celle de l'infini négatif. Et il ne faut pas croire que, dans la pensée de Fechner, ce soient là de simples expressions analytiques, de simples signes destinés à reconnaître et à distinguer des choses différentes sous un certain rapport seulement ; pour lui elles ont un sens réel.

Dès lors les objections se présentent en foule à l'esprit de tout le monde. Il répugne d'admettre qu'à l'excitation unité ne corresponde pas la sensation unité; on se refuse à entendre appeler sensation négative une préparation à la sensation; l'esprit ne conçoit pas une sensation négative infinie, que l'on ne ressent pas et qui est l'état de notre âme correspondant à l'absence d'excitation — qu'est- ce donc que j'éprouve dans le silence absolu? Cherchant à expliquer ce que pourrait bien être la sensation négative de Fechner, j'ai dit un jour que c'est une sensation dont on n'a pas conscience *. Il me répond que je ne l'ai pas compris, et que ce que je dis est un non- sens. Je le veux bien ; mais c'est toujours une chose assez grave pour un savant que de n'être pas compris ; ajouterai-je que Wundt interprète comme moi l'expression ? 2

Qu'entend-il au surplus par là? C'est, selon lui, ce qui manque à un certain état de l'âme pour devenir une sensation. « Sans doute, dit-il (p. 60), l'expérience n'atteint pas la sensation négative, et la cons- cience ne peut nous dire en aucune façon ce qui manque à la sen- sation pour naître; mais la formule nous montre ce qui manque à l'excitation pour produire une sensation. » La sensation négative ne serait donc pas une sensation. Pourquoi? Ce qui manque à quelque chose pour être une sensation, n'est-ce pas nécessairement une sen- sation ou bien un élément indispensable de la sensation? Ce qui fait défaut dans ma bourse pour payer entièrement une dépense qui dépasse mes moyens, n'est-ce pas de l'argent, et de l'argent de même nature que celui qui s'y trouve ? un déficit, en un mot, n'est-ce

1. Étud. psychoph., p. 17.

2. Menschen-und Thierseele, I, p. 113 : « Nous désignerons comme incons- cientes ces sensations et ces différences de sensations que nous ne sommes pas en état de saisir, » et p. 114 : o La sensation négative infinie est une sen- sation qui est plus inconsciente que toute autre. » Je trouve dans Fechner (p. 98) une phrase qui, tout bien considéré, pourrait passer elle-même pour une espèce de concession : « Bref, dit-il, je nomme sensation inconsciente celle à qui pour exister il manque encore quelque chose, en ce que une condition physique incomplète pour cela est déjà réalisée. Mais qu'il y ait ou non là de la sensation, c'est ce que je tiens comme déterminé par les explications pré- cédentes. »

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