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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

rait pas dans les trois premières éditions et ne fut écrit par Locke que tout à fait à la fin de sa vie. Le livre III (sur le langage) fut beaucoup moins retouché : il semble que Locke en ait été content du premier coup. En revanche, il ne se lassa pas de faire des modifications et additions au livre II, surtout en vue de prévenir des malentendus que lui avaient révélés certaines attaques de Stillingfleet. C’est ainsi que le chapitre xxiii, si important, qui a pour titre : « Our Ideas of substances, » et le chapitre xxxiii : « Of the association of Ideas, » ne furent écrits qu’en 1695 et parurent pour la première fois dans la 4e édition. Le chapitre xii, du même livre II : « Of complex Ideas, » fut refait presque tout entier… Ainsi de suite.

Enfin le plus curieux de tout, c’est qu’il semble hors de doute que les trois chapitres du Ier livre intitulés : « No innate principles, » c’est-à-dire le Ier livre tout entier moins le chapitre qui sert d’introduction, est la partie de tout l’Essai qui fut écrite en dernier lieu. Cela en accroît beaucoup la portée, non la valeur intrinsèque, bien entendu, mais l’autorité morale. Il est remarquable, en effet, que Locke n’est pas parti d’une négation, comme l’ordre actuel de son livre le ferait croire. Il n’a pas commencé par nier à la légère les idées innées de Descartes, se condamnant ainsi à expliquer sans elles, bon gré mal gré, toute la connaissance. C’est la marche inverse qu’il a suivie. Esprit positif, au sens propre du mot, il a, de son point de vue exclusivement empirique, lentement analysé l’esprit humain et compté pièce à pièce les éléments de la connaissance ; après quoi, se croyant en mesure d’expliquer par l’expérience seule la formation de toutes nos pensées, il tint pour bonne son hypothèse (jusque-là provisoire) de la table rase. Il ne se mit en devoir de ruiner expressément le rationalisme cartésien, qu’après avoir acquis la conviction qu’il était possible de s’en passer. Rien de plus conforme que cette façon de procéder à tout ce que nous avons vu de son caractère et de sa tournure d’esprit. C’est là aussi ce qui fait la grande différence entre ce véritable père de la tendance dite positiviste et les modernes, qui, chez nous surtout, professent sous le nom de « philosophie positive », une doctrine avant tout négative, dont le trait le plus saillant est d’opposer des fins de non-recevoir aux problèmes philosophiques et d’écarter par la question préalable l’analyse psychologique.

Locke est le véritable initiateur de ce qu’on nomme psychologie expérimentale en Angleterre, ou mieux psychologie analytique. Stuart Mill l’appelle avec raison the unquestioned founder of the analytical philosophy of mind[1]. Sans vouloir forcer les analogies,

  1. System of Logic, t. I, p. 150.