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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

communauté ; le droit, de faire librement tout ce qui n’est pas contraire à l’ordre social. À la fin de sa vie, il semblait reconnaître en outre certains devoirs de perfection dont l’Évangile, à ses yeux, était le code ; mais il entendait par là le dévouement, le sacrifice, la charité, nullement les devoirs de dignité individuelle. À dire vrai, il s’en tint toute sa vie en fait de morale à la doctrine condensée par lui dans deux notes de son « Common-place book » publiées par lord King : Virtue and vice (1661)[1] ? A utilitarian Scheme of life (1667)[2]. « La vertu, en tant qu’obligation, est la volonté de Dieu, découverte par la raison naturelle ; mais, quant à sa matière, elle consiste uniquement à faire du bien à soi-même ou aux autres : le vice consiste à nuire aux autres ou à soi-même »… « Le propre de l’homme est de chercher le bonheur et d’éviter la peine… Le tout est de bien calculer et de ne pas sacrifier à un plaisir fugitif un plaisir durable.. Quels sont les plaisirs les plus durables ? Ce sont : 1° la santé, sans laquelle il n’y en a pas d’autres ; 2° la bonne réputation ; 3° le savoir ; 4° la bienfaisance…, car le souvenir des bonnes actions est délicieux ; 5° l’attente du bonheur éternel… En somme, j’éviterai tous les plaisirs impurs et illégitimes, parce que rien ne saurait me donner une joie plus constante et plus vive que cet empire sur mes passions »… — C’est déjà la morale de Bentham et l’arithmétique des plaisirs ; ou plutôt c’est le vieux thème épicurien, que les Anglais sauront varier de mille manières et agrandir par la considération de l’intérêt public, mais dont ils ne verront jamais l’insuffisance théorique. Locke est l’initiateur de cette sagesse anglaise, pratiquement admirable, qui anime tant d’œuvres excellentes depuis lui et depuis Shaftesbury, son disciple. Mais qu’il y a loin de cette morale à celle de Kant, de cet habile esprit de conduite prêché au nom de la vérité politique et économique aux formules de l’impératif catégorique !

Les documents nouvellement découverts nous montrent Locke plus occupé encore qu’on ne l’avait cru de controverses religieuses, mais ne nous apprennent rien de nouveau sur l’esprit qu’il y apportait. Comme Spinoza, comme Newton, comme Leibnitz, comme tous les grands hommes de l’époque, il consacre ses loisirs, surtout vers la fin de sa vie, à interpréter les Écritures. Rien d’étonnant à cela, vu ses études en théologie, le fond religieux de sa nature, sa liaison avec Limborch. Les lettres inédites retrouvées par M. Fox Bourne et le petit écrit de 1661, qui a pour titre : Infallibilis Scripturœ interpres non necessarius[3], ne témoignent ni d’une plus grande puis-

  1. Lord King, p. 292, 293.
  2. Id., p. 304.
  3. Shaftesbury Papers, série VIII, n° 30.