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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

de l’esprit, dût précéder ni surtout exclure toutes les autres. À qui doit être agriculteur ou marchand, disait-il, apprenez avant tout ce qu’il lui sera utile de savoir. L’instruction a pour but essentiel de mettre chaque homme en état d’accomplir les devoirs de sa position, comme l’éducation a pour but de lui inspirer la constante volonté de les accomplir. D’ailleurs l’esprit le mieux préparé pour la vie n’est pas celui qui sait le plus de choses : « Le rôle du maître n’est pas tant d’apprendre à l’enfant tout ce qu’on peut savoir, que de lui donner l’amour et le respect de la science, et surtout une bonne discipline intellectuelle, le mettant à même de se connaître et de s’améliorer lui-même s’il le veut. » Car « la vertu et la sagesse, voilà la grande affaire. Apprenez à l’enfant à maîtriser ses inclinations, à soumettre ses appétits à la raison. Cette habitude prise, le principal sera fait. » — Tel est le ton général de ce petit traité de l’éducation : l’inspiration en est aussi moderne et en même temps aussi élevée que possible. On y peut ajouter ; je ne vois guère ce qu’on y pourrait reprendre.

La philosophie politique de Locke, plus connue, nous offre les mêmes caractères. L’influence historique en a été incalculable. Si l’Angleterre est la terre classique de la liberté politique, tout le meilleur de l’esprit anglais se retrouve dans les Lettres sur la tolérance et dans les deux Traités du gouvernement. Produit, si l’on veut, du génie national incarné en Locke (mais avivé chez lui par la force du sens moral), ces excellents écrits ont réagi à leur tour sur l’esprit public, en Angleterre d’abord, puis en France et dans tout le monde civilisé. Aucune autre cause n’a sans doute autant contribué à donner à nos voisins cet esprit de légalité et d’indépendance si justement vanté, cette sage conception des droits et devoirs de l’État, selon laquelle l’ordre s’obtient par le jeu même de la liberté. Et si les mêmes vues se sont répandues chez nous grâce à des écrivains dont la gloire à certains égards éclipse celle de Locke, il ne faut pas oublier que Locke fut leur précurseur et, de leur propre aveu, leur maître. À vrai dire, bien avant lui, nos écrivains du xvie siècle, Hubert Languet, Bodin, La Boëtie, avaient écrit avec fermeté sur les principes de la politique ; mais rien ne donne à croire que Locke les eût lus. D’ailleurs, si les Six livres de la République témoignent d’un savoir immense et d’une grande profondeur de pensée, on sait que Bodin mettait toute son autorité au service du gouvernement despotique, en quoi il n’eût pas manqué (malgré son amour de la tolérance) de choquer vivement Locke. S’il était besoin d’attribuer à des lectures l’éducation politique d’un homme qui, en cela surtout, fut à lui-même son propre maître, Locke devrait sans