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virile le corps et le caractère des enfants ! Mais surtout combien s’étonneraient de l’entendre déjà plaider si fortement en faveur de ces mêmes réformes de l’enseignement qui n’ont pas pu seulement être essayées tout de bon en France en 1873, tant elles ont soulevé de tempêtes ! Oui, l’on ferait encore scandale au milieu de nos habitudes domestiques et de nos préjugés universitaires, en reprenant tout simplement les vues de Locke sur la discipline du premier âge et sur l’instruction de la jeunesse. En ces matières pourtant, comme en bien d’autres, il est difficile de contester la justesse de ses critiques et de ne pas avouer que l’utilitarisme s’élève chez lui aux plus hautes aspirations morales. En réalité, si l’on était de bonne foi et sans parti pris, tout le monde reconnaîtrait que ce qu’il proposait au nom de l’intérêt privé et public ne saurait être nuisible, tant s’en faut, aux intérêts supérieurs de l’homme, à la haute culture morale et esthétique. En effet, de même que toutes ses prescriptions touchant l’éducation physique n’ont pour objet que de faire du corps « un instrument docile, aussi apte que possible à exécuter les ordres de l’esprit, » de même tout ce qu’il écrit sur les moyens de former l’intelligence et le caractère n’a qu’un but : « faire des esprits droits, disposés en toute occasion à ne rien faire que de conforme à la dignité et à l’excellence d’une créature raisonnable. » Il exprime avec plus de force et d’élévation que personne la nécessité de faire prendre aux enfants, entre autres bonnes habitudes, celle qui vaut toutes les autres, parce qu’elle les engendre et les garantit, l’habitude de s’observer, de se contenir et de se vaincre, ne fût-ce que par fierté et pour faire acte d’hommes. Quant à l’instruction, il veut, il est vrai, qu’elle commence par ce qu’on appelle aujourd’hui les leçons de choses, qu’elle soit claire, débarrassée du jargon scolastique, utile et pratique le plus possible, en un mot qu’elle rompe pour le fond et la forme avec de détestables traditions. Mais il ne proscrit ni les exercices littéraires ni les études supérieures purement théoriques ; il demande seulement que les enfants soient tout d’abord pourvus des connaissances les plus urgentes ; que les études plus relevées ne soient pas imposées à ceux qui, faute de temps ou d’intelligence, ne sont pas en état de les bien faire ; qu’enfin chacun reçoive un enseignement approprié à ses besoins et à ses projets d’avenir. Certes il faut apprendre les langues classiques : Locke les savait à merveille, les admirait autant que personne ; mais il voulait qu’on apprît à les lire vite et bien, non à les écrire mal, qu’on employât à faire connaissance avec les chefs-d’œuvre de l’antiquité le temps qu’on passe à en apprendre par cœur des lambeaux ou à en faire de maladroites parodies. D’autre part, il ne croyait pas que cette noble étude, vrai luxe