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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

garantie pour l’emprunteur, mais que, si l’État néanmoins intervient, il ne peut en tout cas fixer trop bas le taux légal sans compromettre les transactions mêmes qu’on se propose de favoriser. Enfin la théorie de la propriété, contenue dans le second Traité du gouvernement, contient en abrégé tout ce qu’on a dit de meilleur sur la question. « La terre et tout ce qu’elle produit spontanément appartiennent en commun à tous les hommes ; mais chaque homme s’appartient, et personne n’a aucun droit sur lui que lui-même. Son travail lui appartient donc aussi, et l’œuvre de ses mains est sa légitime propriété. Par conséquent, tout ce qu’il tire de l’état naturel, tout ce à quoi il mêle son travail et partant quelque chose de lui-même, entre par cela seul en sa possession… » etc. Je n’ai que faire de citer ces excellentes pages : elles sont connues, mais elles devraient l’être davantage ; parce que ces idées sont à présent courantes parmi les économistes, beaucoup ont oublié de qui elles viennent.

Il en est de même des théories de Locke sur l’éducation, sur la tolérance, sur les rapports de l’état avec les églises et les individus.

La prose anglaise du xviie siècle compte peu de pages aussi parfaites que les Pensées sur l’éducation. L’Emile de Rousseau, supérieur comme œuvre d’art, n’est venu que beaucoup plus tard, empruntant d’ailleurs à Locke ce qu’il contient de plus solide, non sans l’e gâter par l’exagération et le mélange de paradoxes. Les Pensées, où tout est mesure dans le fond et simplicité dans la forme, ont, en somme, moins vieilli que l’Emile. Je suis persuadé que, si l’on en donnait aujourd’hui chez nous une édition séparée, le succès en serait considérable, au milieu de nos discussions ardentes sur les programmes de l’enseignement public. Car Locke ne sépare pas plus l’instruction de l’éducation morale que celle-ci de l’éducation physique, et sur ces trois points il est singulier combien maintenant encore on aurait de profit à le lire. Si grande qu’ait été son influence dans son pays, particulièrement sur l’éducation corporelle[1], il s’en faut bien que les Anglais eux-mêmes aient encore tiré tout le parti possible de ses avis, rompu avec toutes les routines qu’il a combattues. M. Spencer, dans son Essai sur l’éducation, ne juge pas inutile de redire avec insistance bien des choses dites par Locke il y a tantôt deux cents ans. Chez nous, à plus forte raison, que de parents auraient besoin de s’inspirer de ses conseils pour former d’une manière plus

  1. Personne n’a contribué plus que lui à faire passer dans les usages ce qui caractérise aujourd’hui la vie anglaise : les exercices physiques de toute sorte, l’endurcissement volontaire à toutes les intempéries, le mépris des fatigues et les dangers, le grand air, l’eau froide, etc., etc.