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bien que déjà présentée elle-même sous la forme d’une conclusion), il en tire aussitôt à priori, par une longue suite de raisons nécessaires, toutes les autres vérités dont se compose sa philosophie. N’est-il pas clair par là qu’il a préconisé l’évidence rationnelle et pratiqué l’analyse abstraite des concepts, beaucoup plutôt que recommandé l’observation des faits de conscience ? Son vrai disciple, c’est Spinoza. Édifier sur quelques définitions un système où tout s’enchaîne more geometrico, c’était là être plein de l’esprit de Descartes.

Et la physique cartésienne, par où vaut-elle, sinon par cette admirable conception du mécanisme universel, conception aussi peu empirique que possible, puisque, de l’aveu même de Descartes, elle lui est apparue comme une suite nécessaire de la nature de Dieu ? Tout ce que nous savons du monde, en effet, découle des perfections de Dieu : la véracité divine nous garantit seule l’existence des choses ; et si nous devons croire à priori qu’une quantité constante de mouvement subsiste sous la variété infinie des phénomènes, c’est que la volonté divine est immuable. Qu’on lise l’étude de M. Huxley sur Descartes, on verra que le savant qui a loué notre grand philosophe avec la plus haute compétence comme avec la plus chaude admiration (hommage doublement précieux de la part d’un étranger) parle à peine de ses recherches expérimentales, ou des observations dont il a étayé son système, mais proclame très-haut, au contraire, que c’est par son esprit géomètre, ses intuitions rationnelles et ses vues systématiques, voire même celles qu’on a le plus critiquées, comme la théorie de l’animal machine, qu’il a été à la lettre le père delà philosophie et de la science modernes. Cela étant, je demande si l’on trouve des rapports bien nombreux et bien étroits entre les hardiesses de cette vraie méthode cartésienne et l’empirisme de Locke, si près des faits, si modeste d’allure. Je ne médis pas de la prudence de Locke, de ses lenteurs, de ses humbles visées : c’est précisément de tout cela qu’il faut le louer, quand on reconnaît ses services, car c’est en cela même qu’il innovait. Quelques-uns iraient volontiers jusqu’à dire qu’il était par là beaucoup mieux que Descartes lui-même dans l’esprit de nos savants contemporains ; et c’est vrai en un sens, quoiqu’il n’y ait aucune comparaison possible entre une utile leçon de circonspection et un coup de génie ouvrant les voies à toute la spéculation ultérieure, orientant à nouveau les esprits. Mais, quoi qu’il en soit, c’est un fait que la timidité dogmatique fut le caractère propre de Locke, comme la témérité celui de Descartes.

Écoutons sur le philosophe anglais le jugement de M. Taine, qui