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marion. — john locke d’après des documents nouveaux

Avec Descartes, Locke a ceci de commun, qu’il s’affranchit de bonne heure de la sujétion de ses maîtres, méprise les disputes de l’école et cherche la vérité en toute indépendance « dans le grand livre du monde ». Ici, nous devons reconnaître quelque chose de plus qu’une simple conformité de goûts, puisque lui-même proclamait hautement le plaisir et le profit qu’il avait trouvé à lire Descartes, le regret qu’il avait de ne pas avoir connu plus tôt un tel guide. Il est hors de doute que Descartes le fit penser, le réconcilia avec la philosophie, et par ses témérités mêmes, aiguillonna sa curiosité en provoquant sa critique. Il le suscita donc et le révéla à lui-même. Mais c’est tout, et certes ce n’est pas peu. Aller plus loin, prétendre qu’il le forma tout à fait et lui fournit plus qu’une occasion de méditer, plus qu’une excitation à oser être lui-même, ce serait méconnaître la différence presque radicale de deux esprits qui n’ont guère eu de commun que l’enthousiasme de la vérité, et de deux philosophies qui ne se ressemblent que par la prétention de reposer sur l’évidence directe. Je sais bien qu’il y a dans celle de Descartes, si vaste, si compréhensive, deux tendances opposées, dont l’une était trop d’accord avec la tournure d’esprit de Locke pour que les pages du Discours de la méthode où elle se manifeste en un si beau langage n’aient pas contribué fortement à fixer la direction de sa pensée ; mais cette tendance-là est accessoire chez Descartes, dominante et presque unique chez Locke : voilà pourquoi je crois beaucoup plutôt à une disposition naturelle de celui-ci, renforcée par certaines pages et certains exemples de celui-là, qu’à une filiation proprement dite. Oui, Descartes lui aussi avait été un apologiste de l’observation et de l’expérience, mieux encore, physicien, anatomiste, physiologiste ; il avait infiniment plus que Bacon, et autant que personne de son temps, donné l’exemple d’interroger directement la nature. C’est par là, sans nul doute, qu’il avait séduit l’étudiant d’Oxford, que disputait à la théologie un goût irrésistible pour la médecine et les sciences naturelles. De même, il a jusqu’à un certain point inauguré la méthode psychologique moderne, en demandant son point de départ au témoignage immédiat de la conscience. Mais, ne l’oublions pas, il s’en faut de tout que le caractère général de la philosophie cartésienne soit empirique, que le principal service rendu par Descartes à la science soit dans les expériences qu’il a faites ou suscitées.

Mathématicien avant tout (ce que Locke n’était nullement), sa méthode est essentiellement déductive. À peine a-t-il trouvé, dans le sentiment invincible de son existence comme sujet pensant, une vérité à la fois simple et certaine, que, traitant « selon la méthode des géomètres » cette vérité unique (vérité d’expérience si l’on veut,