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inhérente à tous les organismes végétaux (les Plantes insectivores, trad. franc., p. 426 et suiv ; — Les Plantes grimpantes, id., p. 262). Mais il consent à peine à appliquer dans un seul cas (Plantes insectivores, p. 319) le nom d’action réflexe à l’un de ces mouvements. L’absence de nerfs en effet, et la dureté des enveloppes cellulaires qui en est la cause, ont créé dès l’abord entre les agglomérations de cellules végétales et les agglomérations de cellules des animaux, une différence profonde que le progrès des types ne pouvait qu’aggraver. Dans un simple amas de protoplasma en effet, et tant que les enveloppes cellulaires restent molles, des lignes de transmission des mouvements moléculaires peuvent facilement s’établir, en sorte que le défaut de nerfs ne se fait pas sentir encore ; mais ce défaut, on le comprend, devient irrémédiable dès que les enveloppes prennent la rigidité propre aux éléments des tissus chez les plantes. Quant à Dutrochet, il ramène tous les mouvements des organes végétaux à deux processus essentiels : la torsion et l’incurvation, et l’analyse qu’il donne de ces deux processus est assez solide pour résister à l’épreuve décisive de la reproduction artificielle. Tel est l’esprit suivant lequel M. Emery explique le sommeil des feuilles et des fleurs, bref tous les mouvements des végétaux.

La difficulté qu’on éprouve à interpréter de la même manière certains appareils étonnamment compliqués comme les fleurs des orchidées, dont quelques-unes lancent leurs pollinies à près d’un mètre de distance dès qu’on touche certains ressorts disposés sur le passage des insectes qui les visitent, cette difficulté, disons-nous, n’effraye pas M. Darwin, et il trouve au contraire que certains détails de cette savante structure s’expliquent plus aisément par la sélection que par toute autre voie.

Donc la coordination des moyens en vue de certaines fins ou la correspondance de l’être avec son milieu ne requièrent dans cet ordre de phénomènes aucune intervention de la conscience, c’est-à-dire aucune représentation des fins à réaliser, du moins dans l’être à qui cette réalisation profite. Jamais la plante n’a besoin de prévision, puisqu’elle ne fait que répondre à des stimulations immédiates. Si les végétaux des tropiques transportés dans nos climats cessent de s’élever à une aussi grande hauteur pour fleurir et pour fructifier, c’est qu’ils rencontrent bien plus bas que dans leur pays natal la couche d’air froid où la floraison est impossible. Si la feuille se tourne et s’avance vers la lumière, c’est qu’elle ressent déjà actuellement et va ressentir davantage de proche en proche l’influence de ses rayons. Si les racines voyagent, comme on dit, à la recherche d’un sol favorable, c’est que quelques parcelles de bonne terre se trouvent mêlées