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espinas. — études de psychologie comparée

rapport aux fins, c’est-à-dire l’organisation et la vie. Or, si toute pensée a pour conditions immédiates les agencements spéciaux de phénomènes physico-chimiques qui caractérisent la vie, il n’est pas vrai que réciproquement toute matière organisée soit capable de pensée. Le fait que les anesthésiques, après avoir aboli en nous la conscience, arrêtent les mouvements vitaux, ne nous autorise pas à confondre les deux ordres de phénomènes, car personne ne nie que l’activité organique soit, comme on le dit en Angleterre, « la base physique de l’esprit, » et il ne faut pas s’étonner que le chloroforme atteigne la conscience avec les conditions les plus immédiates et les plus délicates de la conscience, à savoir les fonctions des centres nerveux. L’ordre même dans lequel les diverses manifestations de l’activité humaine sont abolies peut servir à les distinguer, puisque toute activité psychique peut cesser, alors que les fonctions vitales restent intactes : et encore faut-il reconnaître que là où les fonctions vitales sont puissamment centralisées comme chez l’homme et rattachées intimement au système nerveux cérébro-spinal, les conditions sont mauvaises pour établir la caractéristique de la vitalité indépendamment de la pensée. C’est dans la plante qu’il est nécessaire de l’étudier. C’est là que nous devons chercher si l’organisation, c’està-dire la coordination des moyens aux fins, ou en d’autres termes la correspondance de l’être avec son milieu, implique à elle seule quelque degré d’intelligence.

Nous venons de relire attentivement, après le chapitre de M. Vignoli, le chapitre de Hartmann qui résume si magistralement tous les éléments du débat au point de vue allemand, les livres de Darwin Sur la fécondation croisée et directe, Sur la fécondation des orchidées par les insectes, Sur les plantes insectivores et Sur les plantes grimpantes, enfin la Physiologie de Dutrochet et le livre récent de M. Emery où les phénomènes d’adaptation et de corrélation organique sont soigneusement étudiés. Cet examen terminé, nous demeurons persuadé que, dans toute la série botanique, plus le type végétal se détermine et se perfectionne, plus il est incompatible avec la pensée. Le raisonnement de Hartmann, qui conclut d’une ressemblance presque complète des organismes végétaux les plus simples avec les animaux inférieurs à une ressemblance croissante à mesure que la plante se perfectionne, est un pur paralogisme, car il ne tient pas compte d’une divergence originelle, qui, bien que légère au début, devient énorme si l’on examine les points culminants des deux séries. Darwin considère les mouvements de préhension des vrilles et l’excitabilité des organes qui servent de pièges chez les plantes insectivores comme les traces, accidentellement ravivées par la sélection, d’une faculté