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espinas. — études de psychologie comparée

phénomènes vitaux, car il n’y a pas de science, C. Bernard l’a dit souvent, en dehors du déterminisme des faits. Or M. Vignoli n’hésite pas à affirmer que la force intellectuelle est indépendante des organes dont elle se sert, et cela non pas seulement dans l’homme, mais surtout dans les animaux et les plantes. Il se fait de cette force une très-singulière idée. Elle serait tout entière en elle-même, en dehors de ses manifestations, identique et égale partout où elle se montre à travers la série organique, capable de susciter au besoin un organe ou un autre suivant les circonstances, libre en un mot de se produire dans les types les plus pauvres comme dans les plus complexes, en sorte qu’on ne doive pas s’étonner de la voir partout avec les mêmes caractères, aussi bien chez la plante que chez l’homme (p. 36, 41, 59). Il n’est que trop évident que l’on a pris ici le produit d’une généralisation pour une entité, disons mieux, pour une personne. À ce compte, il serait plus logique de renoncer au point de vue de l’immanence et de déclarer qu’une puissance cachée, placée en dehors des phénomènes et dédaigneuse de leurs lois, se révèle capricieusement à nos yeux par leur moyen. Que si ce parti extrême effraye M. Vignoli, qui se proclame guéri de toute illusion métaphysique, force lui est de revenir au déterminisme dont Descartes se contentait ; il lui faut reconnaître que partout où brille un rayon de vie psychique, c’est en exacte harmonie avec les conditions physiologiques et la structure organique de l’être sentant. Et dès lors, privé de cet argument a priori, si propre en effet à faire un seul tout de la nature entière (c’est ainsi ou à peu près que procède Hartmann), il se verra contraint d’avouer que les phénomènes d’irritabilité végétale et de sensibilité animale diffèrent bien plus qu’il ne le dit et sont séparés tout autant que les organismes correspondants, c’est-à-dire par un intervalle considérable.

Je sais bien que M. Vignoli pense tirer des faits mêmes ce principe de l’indépendance de l’activité psychique par rapport à ses conditions biologiques ; mais qui se contentera de ses preuves ? Il est vrai, la fonction peut varier sans que l’organe change extérieurement et d’une manière instantanée ; la nature, nous l’accordons encore, peut employer des moyens très-divers pour arriver à des fins analogues, et il faut tenir compte dans l’explication des résultats obtenus non-seulement des organismes qui en sont les facteurs premiers, mais des circonstances variées dans lesquelles ceux-ci sont appelés à se mouvoir, et des agencements multiples où leurs activités se combinent, — les sociétés d’hyménophères en sont un exemple ; — il n’en reste pas moins certain que si un être s’adapte à un mode d’action qui ne semble pas résulter de sa