Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
578
revue philosophique

ne sont pas présentées de face, mais évoquées par l’intermédiaire d’associations, les plus inattendues qui soient, les plus tortueuses, les plus personnelles ; où les titres des chapitres sont tels que la principale difficulté du chapitre, c’est de découvrir le rapport de l’entête avec le contenu ; où l’on ne trouve rien qui ressemble à une argumentation suivie et à un développement progressif ; où les idées arrivent à l’improviste, et où tout est dans chaque partie, si bien qu’au lieu de vous sentir guidés dans la pensée de l’auteur pas à pas, comme dans une région où l’on va à la découverte, il vous semble l’entrevoir de temps en temps, tout entière et confusément, sans la fixer jamais, ainsi qu’il arrive d’un pays vu à la lueur des éclairs. C’est surtout dans l’Epilogue que ces difficultés s’accumulent. M. Bahnsen ne s’en excuse pas moins, en terminant aussitôt après, d’avoir usé d’un langage sans apprêt : mais enfin il faut bien parler pour être entendu, et l’humoriste (entendez le philosophe) doit, « pour commercer avec la foule, changer les lingots d’or de sa pensée contre un peu de monnaie courante. » Il dit vrai sur un point, son livre est bien d’un humoriste, qui se soucie peu d’être compris, qui au fond ne fait qu’un monologue et n’expose sa pensée que pour en mieux jouir, et qui est d’autant plus satisfait de son ironie qu’elle dépasse la portée des esprits vulgaires : n’être entendu des sots que grossièrement ou de travers, échapper aux imbéciles, quel triomphe pour un pareil délicat !

En tout cela, d’ailleurs, rien d’apprêté : ce style, ces procédés de composition, qui nous paraissent étranges, sont sincères, conformes aux principes et à la nature d’esprit de M. Bahnsen. Humour signifie naturel. — S’il dédaigne d’argumenter en forme et d’ordonner ses propositions selon les usages de la dialectique vulgaire, c’est que, « à la connaissance discursive, » à l’étude successive des éléments de la réalité, il veut « opposer la vision intuitive de l’univers » (p. 127) ; en face de la « philosophie prétendue scientifique » et qui n’est qu’un ramas de formules sans unité, une « débandade d’idées, » il établit une philosophie douée d’unité et de vie : c’est pourquoi il est

    sans en être l’unique auteur, il cite Velleius : « est deus qui efficit, ut quod acciderit, etiam merito accidisse videatur, et casus in culpam transeat ; » et il ajoute : « C’est devant les autels d’un dieu pareil que Tychè épouse Daimôn, selon les rites et la formule orphiques » (p. 68). Ensuite, le héros, en voulant faire trop bien, en visant à une perfection impossible, se rend coupable de présomption et en est puni par l’échec de ses entreprises : c’est que Némésis poursuit la fille de Tychè et de Daimôn, Hybris. Laissons M. Bahnsen poursuivre cette généalogie de « la famille des puissances tragiques. » — Ailleurs, c’est une allusion à la « baguette divinatoire, » et ici au « chapeau de Fortunatus » ; là, il cite comme type d’humour une chanson d’écoliers, « les Vers nuptiaux des gaz ». — Le tout d’un ton fort sérieux.