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LE TRAGIQUE COMME LOI DU MONDE


D’APRÈS BAHNSEN




Julius Bahnsen : Das Tragische als Weltgesetz, und der Humor als ästhetische Gestalt des metaphysischen (le Tragique considéré comme loi universelle et l’Humour comme forme esthétique de la vérité métaphysique). — Ferley, à Lauenbourg en Poméranie, 1877.

Le titre du nouvel ouvrage de M. Bahnsen est de ceux dont on ne peut guère entendre toute la signification avant d’avoir lu le livre en son entier, — ou plutôt lu, relu et étudié avec grand soin, car le livre même n’est pas de ceux dont on s’empare à première lecture. L’auteur le sait probablement, et il est à croire qu’il s’en félicite. Étant pessimiste, et même, comme il pense, le seul pessimiste « sérieux » qui se soit jamais rencontré, il n’a pas l’inconséquence de chercher à gagner des prosélytes : de telles façons peuvent convenir à ces faux pessimistes, qui croient encore à un salut possible, qui se flattent d’en avoir trouvé la voie, et qui s’efforcent d’y faire entrer l’humanité. Quant à lui, il est précisément le contraire d’un apôtre, et il laisse à chaque homme le soin de se rendre misérable à sa guise. — Son livre est pénétré de cette ironie subtile : ouvrez-le à la préface, et vous y lisez que l’auteur « a voulu intéresser un vaste cercle de lecteurs », qu’à cet effet il a évité « les précisions et la raideur » de l’École. Tournez la page, et vous tombez dans un allemand hérissé de formules hégéliennes, toute une langue à déchiffrer, où les notions abstraites et techniques sont remplacées par des images les plus étranges du monde : images tirées des sciences et surtout des théories les moins connues, images empruntées à la théologie la plus scolastique et aux mythologies les plus obscures, aux contes de fées et à la vie de l’étudiant allemand[1] ; où les idées

  1. La délibération, le monologue tragique, lui « rappelle le paradoxe de Tyndall dans ses leçons sur la chaleur : le paradoxe du frottement contre le vide » (p. 33). — Pour dire que les circonstances d’une part, et le caractère du héros de l’autre, sont les deux facteurs de ses actes, en sorte qu’il en est responsable