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théorie de la projection (Volkmann, Tourtual) : la rétine aurait eu la propriété innée de projeter ses impressions au dehors, suivant les lignes de vision. La forme la plus complète, la plus récente et la mieux élaborée de la théorie de l’innéité se rencontre chez Panum et Hering. Panum accepte la théorie de la projection et attribue à un sentiment inné la perception de la hauteur, de la largeur, de la profondeur ou solidité ; bref, « il enrichit la rétine d’une quantité de facultés distinctes : c’est le représentant le plus courageux et le plus logique de la doctrine qui nous occupe. » Hering admet à l’origine une sorte de moule dans lequel les objets doivent être projetés. Il y a un point qui sert de noyau (Kernpunht) à tous les rapports d’espace ; les images se groupent autour de ce point à l’aide de certains « sentiments d’espace », auquel Hering ajoute même un « sentiment de la profondeur ». Cette doctrine a été examinée et développée, surtout au point de vue psychologique, par Stumpf.

M. Sully, après avoir indiqué brièvement quelques critiques qu’on peut adresser à cette hypothèse, passe à la théorie contraire.

Théorie empirique. — Soutenue tout d’abord (1811) par Steinbuch sur l’influence de Herbart, elle a compté depuis de nombreux représentants. Notre auteur n’en examine que trois : Lotze, Helmholtz, Wundt. — Lotze s’est attaché surtout à une hypothèse de signes locaux combinés à un système de mouvements (voir l’exposé qu’il a fait lui-même de sa théorie dans la Revue philosophique, octobre 1877). — Helmholtz a exposé sa doctrine en particulier dans les paragraphes 26 et 33 de son Optique physiologique. Cet ouvrage étant traduit en français, nous y renverrons nos lecteurs. — Quant à Wundt, il considère la notion de l’espace visuel comme le résultat d’une « synthèse ». Cette synthèse résulte de deux éléments : les sensations périphériques, c’est-à-dire les impressions produites sur la rétine, et les sentiments centraux d’innervation, c’est-à-dire le sentiment que nous avons des divers mouvements que nos yeux exécutent dans l’acte de la vision. M. Sully critique cette « synthèse », à cause de ce que cette explication, qui ne peut pas donner ses preuves, contient de mystérieux. Il nous paraît d’ailleurs bien caractériser la différence psychologique entre Lotze, Helmholtz et Wundt, lorsqu’il dit : Tous trois représentent la psychologie empirique ; mais le premier est embarrassé par la métaphysique de Herbart ; le second s’en tient à la vieille forme des deux Mill ; le troisième se rattache à la doctrine de révolution et fait intervenir dans la question l’expérience de la race. M. Sully fait remarquer que cette étude sur le mouvement de l’œil et sur leurs rapports avec la formation de l’espace visuel constitue un apport considérable des Allemands à la psychologie empirique.

Il termine en se demandant quel peut être le rapport de toutes ces recherches avec la doctrine de Kant sur la subjectivité de l’espace. Il montre qu’ici il ne s’agit en définitive que d’une détermination empirique de cette notion et des conditions qui lui donnent une réalité, et