Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, V.djvu/576

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
566
revue philosophique

Nous avons déjà parlé incidemment (Revue philosophique, tome II, p. 603) de cet ouvrage, dont la première édition a été publiée en 1856-1857. L’édition nouvelle a été très-sensiblement modifiée, et le tome second, qui vient de paraître (le premier a paru en 1876), est presque un nouveau livre.

Comme le sous-titre l’indique, l’auteur procède par monographies ; mais elles ne sont consacrées ni à des individus, ni à des peuples, ni à des races ; elles étudient une particularité, un aspect, un mode de développement de l’esprit humain. C’est ce qu’on peut voir dans les essais intitulés : Éducation et Science, Honneur et Gloire, l’Humour, le Tact, etc.

Le second volume est consacré à des questions d’une nature plus scientifique et qui peuvent être traitées plus méthodiquement. Il contient six études : Introduction sur le langage en général ; Action réciproque de l’âme et du corps ; Sur l’origine du langage ; Comment le langage s’apprend et se développe ; Influence du langage sur l’esprit ; Conformité de l’esprit et du langage. Ce volume presque entier est consacré, comme on le voit, à la psychologie du langage et aux questions qui s’y rattachent. On sait d’ailleurs la part prépondérante faite à ces questions dans la Zeitschrift für Völkerpsychologie, qui est dirigée par MM. Lazarus et Steinthal.

L’étude sur l’origine du langage est la plus longue et la plus intéressante du livre. Tout état intérieur, une intuition, un sentiment, un désir, amène une réaction physique, un mouvement réflexe des organes de la voix ; dès que ces deux faits — l’état interne et le réflexe vocal concomitant — sont saisis et réunis par la conscience, les éléments les plus généraux du langage sont créés. Mais, pour que cette faculté nouvelle atteigne son plein développement, elle doit, d’après Lazarus, parcourir trois phases : 1° une période pathognomonique, qui est caractérisée par l’interjection, expression primitive et naturelle des sentiments ; 2° une période d’onomatopée : ici le son exprime les intuitions ; le langage commence à proprement parler, lorsque, au lieu de traduire simplement la sensation, il exprime aussi la chose qui cause la sensation ; 3° la période caractéristique. Il se forme des mots nouveaux non plus quant à la racine, mais quant à l’application qui en est faite et aux transformations qu’ils subissent. Des racines qui répondent aux intuitions primitives sortent des formes dérivées : ainsi le loup dérive d’une racine qui veut dire déchirer ; la lune, c’est le mesureur du temps ; amour, en sanscrit smaru, dérive de smar, qui signifie se souvenir.

On comprend, sans que nous entrions dans plus de détails, l’intérêt que ces études peuvent offrir. On retrouve dans ce nouveau volume les qualités ordinaires de l’auteur : de l’élégance, des remarques fines, une érudition bien nourrie, des traits agréables empruntés aux romanciers et aux poëtes, des allusions ou des emprunts aux travaux les plus récents sur ces questions et une méthode d’exposition plus