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ANALYSESmax müller. — Origine du Langage.

nourriture. Le grec πεῖνα, faim, est en connexion avec πόνος, labeur, πένομαι, je travaille, je tâche, j’étends la main pour la nourriture, la conception originelle étant probablement ce que nous trouvons en σπάω, tirer, en allemand spannen, étendre.

Avoir soif, en goth thaursja, en sanskrit trish-vâmi, montre sa conception originelle, en grec τέρσομαι, je suis sec, en latin torreo, gothiq. thaursus, sec. De la même racine sont formés : terra, sol sec, tes-ta, de la terre glaise séchée (bowl), français tête ; testudo (turtle) tortue, tourterelle ; probablement pour torren, torrent (torrens), torris, torche (torch)[1]. Ce peu d’exemples nous montrent les procédés du langage pendant sa formation.

Et quant aux objets qui auraient pu être nommés le plus facilement d’après les sons qu’ils émettent, nous trouverons de nouveau qu’ils ne sont pas désignés de cette manière, et que des mots comme coucou, cuculus, M. Noiré le remarque, ne sont point des noms, mais plutôt des noms propres ou des sobriquets, et qu’ils apparaissent longtemps après que l’idée de l’oiseau a été formée. Des sons comme bâou, vâou, ou baa, ou mou, ne nous rappelleraient que des objets simples et ne seraient jamais capables d’exprimer le penser conceptif.

J’ai essayé, dans mes lectures sur la Philosophie du langage, par M. Darwin, d’indiquer la manière dont des racines ou des types phonétiques pouvaient s’être dégagés même de tels sons, et comment de la même manière que des cris variés formeraient le concept de crier, des sons comme baa et mou pourraient, par un frottement mutuel, s’élever à une racine qui contiendrait le concept du crier.

La théorie sympathique. — M. Noiré n’avance point d’arguments contre ma théorie, mais il a établi une nouvelle théorie, qui offre certainement une meilleure explication des types phonétiques et des concepts rationnels, que la mienne propre. Il nous fait remarquer que, lorsque nos sens sont excités et que nos muscles sont en vive action, nous sentons une espèce de soulagement dans l’émission des sons. Il observe que surtout quand les hommes travaillent ensemble, que les paysans bêchent ou battent le blé, que les marins rament, que les femmes filent, que les soldats marchent, ils sont disposés à accompagner leurs occupations d’articulations plus ou moins vibrantes ou rhythmiques. Ces articulations, bruits, exclamations, bourdonnements, chansons, sont une espèce de réaction contre le dérangement intérieur qui est causé par l’effort musculaire. Ces sons, pense-t-il, possèdent deux grands avantages. Ils sont dès le commencement des signes pour des actions répétées, des actions préformées par nous-mêmes et aperçues par nous-mêmes, mais qui ne sont devant nous et qui ne persistent dans notre mémoire qu’à l’état de simples concepts. Chaque action répétée ne peut être pour nous qu’un concept, comprenant les répétitions en une seule et n’ayant en effet rien de tangible qui lui corresponde dans le

  1. Bréal, Mélanges, p. 368.